Le Maghreb
Le terme Maghreb désigne les pays du soleil couchant – l'Occident nord‑africain – par opposition au Machreq («le Levant»), pays du soleil levant – l'Orient arabe. Dans son acception traditionnelle, il comprend le Maroc, l'Algérie et la Tunisie, trois anciens pays berbères, islamisés et arabisés. En 1989 fut signé le traité portant création de l'Union du Maghreb arabe (UMA), qui réunit, outre ces pays, la Libye et la Mauritanie. Mais l'union économique et politique des cinq pays qui le composent reste compromise par les problèmes socio‑politiques inhérents à chacun d'eux.
Un ensemble homogène Les bases historiques et culturelles sur lesquelles repose l'ensemble géopolitique qui s'étend, à la charnière de l'Europe et de l'Afrique, de la Méditerranée au Sahara, constituent autant d'atouts pour la création d'un «Grand Maghreb».
Le milieu naturel En dépit de leurs caractères propres, les pays du Maghreb présentent de grandes similitudes géographiques. Occupant le nord‑ouest du continent africain, étendus sur quelque 6 millions de kilomètres carrés, ils connaissent les mêmes contrastes topographiques: une étroite plaine côtière, des ensembles montagneux importants (chaînes du Tell en Algérie et de l'Atlas au Maroc) et une immense zone désertique couvrant les cinq sixièmes de la superficie. Les reliefs et les climats sont également contrastés. L'aridité s'accroît du littoral aux marges du désert, et les précipitations ne sont abondantes que dans les zones montagneuses. Enfin, leurs variations interannuelles marquent fortement le climat: les périodes de sécheresse peuvent durer plusieurs années. Les sociétés du Maghreb se sont bien adaptées aux contraintes naturelles des différents milieux, instaurant des échanges entre régions complémentaires.
Traditionnellement, ces sociétés tournaient le dos à la mer. Elles regardaient vers l'intérieur: le Sahara et les routes de l'or. Ce sont, dans l'Antiquité, les colons phéniciens et romains, puis, à l'époque moderne, français qui s'installèrent sur les côtes et mirent en valeur les plaines littorales. Longtemps, ces pays eurent en commun l'opposition entre des montagnes densément peuplées – compte tenu du rapport entre les terres cultivables et la population – et des plaines peu occupées. La mise en valeur des milieux montagnards par des populations agropastorales est en effet tout à fait remarquable, alors que les plaines sont longtemps demeurées le domaine des éleveurs nomades. Ce n'est que très récemment, depuis la colonisation française, qu'elles ont connu un développement agricole.
La permanence de l'élément berbère Les cinq pays du Grand Maghreb ont en commun un ancien peuplement berbère qui leur assure une profonde originalité au sein du monde arabe. Il est étonnant de constater le maintien de la culture et de la langue berbères après quelque treize siècles de pénétration de la langue arabe. Aujourdhui, on compte 33 % de berbérophones au Maroc, 21,5 % en Algérie, 20 % en Mauritanie, 5,4 % en Libye et 3 % en Tunisie, soit environ 14 millions de berbérophones pour 48 millions d'arabophones.
Si les colonisations antiques n'ont laissé que peu de traces, en revanche la conquête arabe et l'islamisation qui l'accompagna, dès la seconde moitié du VIIe siècle, furent déterminantes. Bien que les Berbères aient opposé à cette conquête de fortes résistances, ils se convertirent massivement à la nouvelle religion: ainsi, les troupes qui traversèrent le détroit de Gibraltar quelques décennies plus tard étaient essentiellement composées de Berbères islamisés, et les révoltes berbères contre les Arabes se firent au nom d'un islam contestataire (mouvements kharidjite et mozabite). Le commerce transsaharien, qui jouait alors un rôle prépondérant, porta l'islam jusqu'en Mauritanie.
Par ailleurs, ce furent deux dynasties berbères qui réalisèrent une première unification du Maghreb: les Almoravides (1061-1147) puis les Almohades (1147-1269). Les premiers, nomades de la tribu des Sanhadja, venus du Sahara, portèrent leur conquête jusqu'au royaume de Ghana après s'être emparés d'Aoudaghost, grand centre caravanier situé dans l'actuelle Mauritanie. Ils conquirent ensuite l'ensemble du Maroc après avoir fondé Marrakech (1062) et étendirent leur empire au nord jusqu'en Andalousie et, à l'est, jusqu'à Tlemcen (Algérie). Leur pouvoir fut par la suite contesté par les Almohades, venus de Tinmel, dans le Haut Atlas, et qui étaient également de grands réformateurs religieux. Après avoir appelé à la guerre sainte contre les Almoravides (1147), les Almohades unifièrent sous leur commandement toute l'Afrique du Nord, depuis le Maroc jusqu'à l'Ifriqiya, avec la conquête de Tunis puis de la Tripolitaine. Cette union fut éphémère, mais elle occupe une place importante dans l'imaginaire maghrébin. Elle préfigure le rêve du Grand Maghreb, dont le traité d'Union du Maghreb arabe (UMA) s'efforce depuis 1989 de poser les fondations.
Colonisation et indépendances Après la dislocation de l'Empire almohade, le Maghreb se morcela en régions distinctes (les Mérinides au Maroc, le royaume de Tlemcen en Algérie, les Hafsides en Tunisie), puis, à partir du XVIe siècle, tomba sous la coupe de l'Empire ottoman. Seuls le Maroc et la Mauritanie conservèrent leur autonomie, malgré l'installation des premiers comptoirs portugais et espagnols sur les côtes. Le Maghreb devint ensuite l'objet des ambitions coloniales européennes, avec la conquête de l'Algérie par la France (1830), l'occupation de la Mauritanie (1855) – qui fut par la suite intégrée à l'Afrique‑Occidentale française –, l'établissement du protectorat français sur la Tunisie (1881) et sur le Maroc (1912), la mainmise de l'Espagne sur le Rif – dont subsistent deux enclaves (Ceuta et Melilla) –, et enfin l'installation italienne en Libye (1912).
Après la Seconde Guerre mondiale, les pays du Maghreb accédèrent à l'indépendance: la Libye en 1951, le Maroc et la Tunisie en 1956, la Mauritanie en 1960 et l'Algérie en 1962. Ainsi, la forte identité culturelle qui caractérise ces sociétés arabo‑berbères, l'usage de l'arabe comme langue commune (nonobstant les variantes dialectales de l'arabe et la persistance du berbère), enfin l'appartenance à la communauté musulmane (oumma) sont autant d'atouts en faveur de l'Union. Il est d'ailleurs significatif que l'islam soit religion d'État dans les cinq pays concernés et que le chef de l'État y doive nécessairement être musulman.
Des choix politiques distincts Pourtant, les facteurs de division ne doivent pas être négligés, au premier rang desquels se trouve la nécessité pour chacun des cinq pays, récemment indépendants, de se constituer en État‑nation. Les systèmes politiques et les choix économiques de chacun, depuis l'indépendance, ont été largement différents. Cela tient à leurs traditions historiques spécifiques, aux modalités distinctes prises par la colonisation – le protectorat, depuis 1912, maintenait les structures politiques locales au Maroc, alors que les trois départements français [Alger, Constantine et Oran] constituant l'Algérie étaient placés sous administration directe de la métropole, avec une importante colonie de peuplement. Enfin, les conditions dans lesquelles s'est faite l'accession à l'indépendance – par la lutte armée ou non. Mais cela tient aussi aux fortes personnalités d'hommes tels qu'en Libye le roi Idris Ier (1890-1983) et le colonel Kadhafi, en Tunisie Bourguiba, au Maroc le sultan Mohammed V (1909-1961) et son fils le roi Hassan II, en Mauritanie Ould Daddah et en Algérie Ben Bella puis Boumediene (1932-1978).
Ces chefs d'État, dont certains ont tiré leur légitimité de la lutte pour l'indépendance, exprimèrent, chacun, un dessein propre et marquèrent fortement leur pays. Ainsi, très schématiquement, la Tunisie choisit résolument la voie de l'occidentalisation. Le Maroc voulut entrer dans la modernité tout en s'appuyant sur ses traditions. L'Algérie s'engagea dans la voie socialiste, tandis que la Mauritanie appuyait son développement sur ses liens anciens avec la France. Quant à la Libye, après avoir connu une monarchie confrérique puis de nombreuses turbulences, elle proclama en 1977 l'instauration de la Djamahiryya (république) arabe populaire et socialiste. On comprend aisément que des options politiques et économiques aussi diverses constituent des obstacles à une éventuelle confédération du Grand Maghreb.
La construction de l'UMA ans les premières décennies du XXe siècle se développa la Nahda, courant de renaissance arabe qui concerna surtout les pays du Levant mais également le Maghreb, et qui réactualisa le vieux rêve unitaire de la nation arabe. Les différents mouvements de libération nationale furent ensuite l'occasion de rencontres entre indépendantistes marocains, tunisiens et algériens. Le Comité de libération du Maghreb fut créé en 1948, annonçant la Conférence de Tanger en 1958; puis, en 1964, alors que tous les pays avaient accédé à l'indépendance, fut créé le Comité permanent consultatif maghrébin (CPCM), à vocation plus explicitement économique, et auquel se rattacha un quatrième pays, la Libye. Le CPCM se proposait de développer les échanges entre les pays du Maghreb, d'harmoniser leurs politiques minière, énergétique et industrielle, et de constituer un ensemble face à la CEE. De multiples difficultés, liées plus particulièrement aux conflits frontaliers entre les différents pays membres et à la question du Sahara occidental, freinèrent considérablement l'édification de l'union du Maghreb.
En 1988, la Mauritanie adhéra au CPCM et, le 17 février 1989, fut finalement signé à Marrakech par les cinq chefs d'État le traité portant création de l'Union du Maghreb arabe (UMA), jalon important de l'édification du Grand Maghreb. Ce dernier bénéficie d'un immense territoire, bien qu'inégalement peuplé, dont le sous‑sol renferme des richesses importantes: pétrole (Libye, Algérie), gaz (Algérie, Tunisie, Libye), phosphates (Maroc, Tunisie), fer (Mauritanie), uranium (Algérie) et minerais non ferreux – plomb, manganèse, zinc, barytine des montagnes marocaines. L'usage d'une langue commune, l'appartenance à la communauté musulmane et un patrimoine culturel partagé, sont autant d'éléments favorables à l'Union.
Les problèmes contemporains Outre les contentieux d'ordre politique qui continuent de diviser le Grand Maghreb, celui-ci doit résoudre, à l'aube du troisième millénaire, une multitude de problèmes. Si la plupart sont communs aux cinq nations – forte croissance démographique, exode rural et urbanisation hâtive, dépendance alimentaire, analphabétisme d'une partie importante de la population, statut de la femme –, ils se posent différemment en Libye, où le PNB (produit intérieur brut) est de 5 000 dollars par habitant (en 1994 et grâce à la rente pétrolière), et en Mauritanie, où le PNB est de seulement 460 dollars par habitant.
L'explosion démographique Les différentes politiques de planification familiale se heurtent à de fortes résistances. D'une part, l'idéal de la famille nombreuse reste prégnant, et les pratiques anticonceptionnelles ne sont jamais envisagées avant que la famille n'ait atteint le nombre d'enfants souhaité. D'autre part, la mise en place d'une véritable information en ce domaine se heurte à l'analphabétisme des femmes, qui demeure élevé pour les plus de 15 ans. Aujourdhui encore, la scolarisation des filles reste très largement inférieure à celle des garçons. La population des pays maghrébins est donc extrêmement jeune: le nombre des moins de 15 ans dépasse partout 40 %, sauf en Tunisie, et le taux d'accroissement de la population reste élevé (il est inférieur à 25 ‰ uniquement au Maroc et en Tunisie); selon les projections les plus fiables, celle-ci devrait doubler d'ici à l'an 2025. Les conséquences en sont importantes: le déficit alimentaire s'accroît tandis qu'augmente l'exode rural et que s'accélère l'urbanisation. Il s'agit d'une véritable explosion urbaine: 1 personne sur 5 habitait en ville en 1950; en l'an 2000, selon toutes les prévisions, il y en aura 3 sur 4.
Les craintes et les espoirs Pour faire face au problème démographique, il apparaît indispensable et urgent de planifier les politiques de l'emploi, de la santé, de l'éducation et du logement. Le taux de chômage et l'ampleur prise par le secteur informel, ou «économie souterraine» – qui échappe à toute réglementation –, sont difficiles à évaluer, mais il est certain qu'une partie de plus en plus importante de la population se trouve en situation d'extrême précarité. L'aggravation de la paupérisation entraîne de profondes frustrations ainsi que des demandes sociales nouvelles. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le fondamentalisme religieux, qui occupe aujourd'hui une place prépondérante dans le panorama socioculturel de cette région, apparaisse à toute une jeunesse désemparée comme un recours et un espoir.
Sur la scène internationale, les pays du Maghreb occupent une place originale. L'histoire, le passé colonial, les flux migratoires ont tissé pour quatre d'entre eux des liens privilégiés – qui n'excluent pas les conflits – avec le monde occidental, et notamment avec la France. Appartenant simultanément au monde arabe et à l'espace méditerranéen, assurant la jonction entre l'Europe et le monde africain, le Maghreb est appelé à jouer un rôle de premier plan dans ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui les relations Nord‑Sud.
9 juil. 2007
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