23 janv. 2008

IL ETAIT UNE FOIS LES PHENICIENS

Il était une fois les Phéniciens
Jusqu’au 20 avril, l’Institut du monde arabe, à Paris, met à l’honneur « La Méditerranée des Phéniciens ». Spécialiste incontesté de Carthage, Mhamed Hassine Fantar revient sur l’odyssée et le rayonnement de ce peuple méconnu.
Ils étaient les Vénitiens de l’Antiquité. Audacieux peuple de marchands et de navigateurs originaires du Liban actuel, les Phéniciens ont établi les comptoirs le long des côtes de la Méditerranée, et ont fondé Carthage (Qart Hadash, « la ville nouvelle »), en 814 avant notre ère. C’est un des leurs, dont la postérité n’a pas retenu le nom, qui a réalisé pour le compte du pharaon Nechao II la première circum­navigation de l’Afrique, au VIIe siècle av. J.-C. Une prouesse stupéfiante. L’expédition, partie des rives de la mer Rouge, a mis trois ans pour longer les côtes orientales du continent, doubler le cap qui ne s’appelait pas encore de Bonne-Espérance, remonter par l’actuel golfe de Guinée et regagner l’Égypte en empruntant un détroit qui allait devenir celui de Gibraltar. Ce peuple et sa culture restent mal connus. L’Institut du monde arabe, à Paris, leur consacre une grande exposition. Intitulée « La Méditerranée des Phéniciens, de Tyr à Carthage », elle a ouvert ses portes le 6 novembre 2007, et doit durer jusqu’au 20 avril 2008. 470 pièces exceptionnelles, dont des chefs-d’œuvre de la statuaire empruntés au Louvre et aux musées de Berlin, Londres, New York et, bien sûr, Carthage et Beyrouth, ainsi que des objets mobiliers d’un grand raffinement et des tablettes en argile aident à saisir la profonde originalité de ce peuple de passeurs de langues et de cultures, qui ont transporté l’héritage assyro-babylonien d’un bout à l’autre de la Méditerranée. Spécialiste incontesté de Carthage, l’archéologue et historien tunisien Mhamed Hassine Fantar, 71 ans, est l’auteur d’une somme de travaux sur les mondes phénicien et punique. Directeur du Centre d’études phéniciennes, puniques et des antiquités libyques à l’Institut du patrimoine de Tunis, c’est un farouche détracteur des thèses, popularisées par les Romains et reprises par Flaubert, dans Salammbô, qui présentent les Carthaginois comme un peuple cruel et répugnant, adepte des sacrifices d’enfants. Il revient sur les grandes dates, le rayonnement et l’influence de cette civilisation qui a inventé l’alphabet, révolutionné la navigation, et légué à l’humanité de grandes figures de la mythologie.
Jeune Afrique : Qui sont les Phéniciens, que sait-on de leurs origines ?
Mhamed Hassine Fantar : Eux-mêmes ne se définissaient pas comme Phéniciens mais comme Cananéens. Ce sont des Sémites, les habitants autochtones des zones côtières de Syrie, du Liban et de Palestine. Le nom de Phéniciens vient des Grecs. Il renvoie à la couleur rouge caractéristique de la pourpre, fabriquée et commercialisée par les marchands de Tyr. Aux Phéniciens, les Grecs ont énormément emprunté : l’alphabet, le modèle de la cité-État et même des mythes fondateurs. Vers 1200 avant J.-C., les royaumes phéniciens ont été envahis par les peuples venus de la mer. Ce fut un prodigieux bouleversement sociopolitique : Byblos et Tyr ont été incendiés, et certaines cités détruites. Le « génie » des Cananéens a consisté à « absorber » les apports des Peuples de la Mer et à les bonifier. Pour marquer la césure entre avant et après cette invasion, les historiens ont pris l’habitude de parler de Cananéens pour désigner la période antérieure à 1200 av. J.-C., et de Phéniciens après.

Et ces mystérieux Peuples de la Mer, que sait-on d’eux ?
Peu de choses. Ils étaient d’origines très différentes, égéenne, lybique, etc. On suppose qu’ils ont déferlé après une série de famines consécutives à une explosion démographique. Ces peuples de pêcheurs et de marins employaient des navires à quille et à membrures et disposaient d’une supériorité navale. Ils ont été mis en déroute par les armées de Ramsès III et n’ont pas osé se frotter au grand empire assyro-babylonien. Ils se sont rabattus sur les petites cités côtières du pays de Canaan. Mais les Phéniciens, porteurs d’une culture puissante, ont reçu sans se perdre. Finalement, ils ont « digéré » les Peuples de la Mer, bénéficié de leurs technologies de navigation, et ont pu entreprendre de très grands voyages commerciaux autour de la Méditerranée. En un sens, ils ont été refécondés, ethniquement, culturellement et techniquement par les Peuples de la Mer.

Pourquoi les Phéniciens ont-ils d’abord fondé des comptoirs plutôt que des colonies, voire un empire ?
Au début, ils se sont effectivement cantonnés aux comptoirs. Un comptoir, c’est un abri, une halte et un dépôt de marchandises. On n’y fait pas sa vie, on n’y meurt pas. Commercialement, les Phéniciens étaient surtout des intermédiaires, des vendeurs de métaux précieux et de pourpre, même s’ils avaient aussi leur propre artisanat et excellaient dans le travail de l’ivoire. Pendant trois siècles, ils ont régné sans partage sur la Méditerranée, jusqu’au IXe siècle av. J.-C., époque du grand retour des Grecs. Ayant profité du « miracle phénicien », ces derniers avaient retrouvé un dynamisme commercial et démogra­phique, et commençaient eux aussi à ?fréquenter la Méditerranée occidentale. C’est à ce moment que les Phéniciens ont jeté leur dévolu sur des emplacements stratégiques pour installer des établissements permanents : Utique (Ifriqiya, actuelle Tunisie), Lixus (Maroc), Gadez (Espagne). Carthage a été fondé à cette époque. Ces « colonies » étaient généralement adossées à des centres urbains déjà existants, commerce oblige. Carthage devait servir de dépôt, de plaque tournante commerciale, mais surtout de base navale capable d’intervenir en cas de danger. C’était un moyen d’affirmer la prépondérance phénicienne en Méditerranée occidentale. Cette politique a payé, les Grecs n’ont jamais mis les pieds en Afrique du Nord. Les Phéniciens voulaient garder le contrôle de la navigation entre les deux bassins de la Méditerranée, et se sont appuyés sur Carthage, la Sicile et la Sardaigne. Ce qui leur a permis de sécuriser les mines d’or et d’argent de la péninsule Ibérique…

Pourquoi n’ont-ils pas cédé à la tentation de créer un Empire ?
Ils ne formaient pas un peuple politiquement unifié. Ils n’avaient pas non plus de réelles possibilités d’expansion territoriale, le pays de Canaan étant encerclé par deux grands royaumes, l’égyptien et l’assyro-babylonien. Au fil des siècles, leur situation est devenue de plus en plus précaire, car le roi assyrien exigeait d’eux des tributs toujours plus lourds et multipliait les incursions pour s’emparer de leurs richesses. Cette situation a fini par forcer les Phéniciens à s’éloigner de leur berceau, et Carthage a pris la relève de Tyr en devenant la Reine de la Méditerranée. Le sentiment d’appartenir à une civilisation unique s’est néanmoins perpétué, car d’un bout à l’autre de la Méditerranée les Phéniciens parlaient la même langue et honoraient les mêmes divinités.
En quoi Carthage et Tyr différaient-ils ?
Carthage a été conçu pour devenir la métropole dominante de la Méditerranée occidentale, mais n’a jamais été dans une logique de rivalité avec Tyr, bien que, politiquement, les deux métropoles aient adopté des systèmes très différents. Carthage était une république, dotée d’une Constitution, d’ailleurs décrite par Aristote dans Le Politique, Constitution sans doute bien antérieure à la Constitution athénienne. Les Carthaginois sont ethnoculturellement à la fois différents et semblables aux Phéniciens, car ils se sont mélangés avec les populations autochtones - les Berbères - et ont donné naissance aux Puniques. Carthage a connu son apogée bien avant Amilcar ou Hannibal, dès les VII-VIe av. J.-C. Et on connaît mieux son histoire que celle de Tyr. On suppose que Tyr, dont l’apogée remonte au Xe siècle, était plus orientale. Carthage a à son tour donné naissance à une civilisation dont l’empreinte est encore visible aujourd’hui. Le punique a irrigué toute l’Afrique du Nord. C’était la langue de cour des royaumes berbères de l’Antiquité, la langue du politique et aussi du religieux, des élites. Elle occupait exactement la même place que l’arabe dans l’Afrique du Nord précoloniale. Les îlots berbères qui n’ont pas été atteints par la pénétration culturelle punique sont aujourd’hui les bastions de l’amazighité.
Qu’est-ce qui explique que les Phéniciens, qui ont beaucoup été imités par les Grecs, et ont tant apporté à la civilisation universelle, soient si peu reconnus ?
Les Phéniciens ont été les premiers bâtisseurs de l’Union de la Méditerranée et les premiers à jeter des ponts entre les cultures. Pourquoi cet héritage a-t-il été occulté ? On a tendance à dire « malheur aux vaincus ». Mais il n’y a pas que ça. Les Phéniciens avaient le génie de la navigation, pas celui de la communication. C’est pour cela que leur apport est minoré. On ne retrouve pas trace chez eux d’une historiographie élaborée. D’eux, on ne sait que ce que les autres peuples ont bien voulu nous en dire. Leur postérité est biaisée, tributaire de la perception et des jugements des autres. Il faut méditer cette leçon, qui reste actuelle et doit nous interpeller, en tant qu’historiens arabes et qu’historiens du Sud : malheur aux peuples qui ne parlent pas eux-mêmes ! La Méditerranée des Phéniciens, de Tyr à Carthage, jusqu’au 20 avril 2008, Institut du monde arabe - 1, rue des Fossés-Saint-Bernard, 75005 Paris. www.imarabe.org
par PROPOS RECUEILLIS À TUNIS PAR SAMY GHORBAL
Jeune Afrique n°2454 du 20 au26 janvier 2008

16 janv. 2008

Ressourcement désertique au Sahara
Que vous cherchiez l'aventure, le dépaysement ou un temps d'arrêt dans votre vie, un tour guidé dans le désert constitue une expérience en soi.
La Québécoise Lina Audy est partie suivre une formation dans le désert du Sahara en février dernier. Elle a été conquise par la beauté et l'âme des lieux. L'été dernier, elle a tout quitté pour s'installer à Zagora, petite ville marocaine située aux portes du désert saharien. Elle s'est associée avec un chamelier d'expérience, Mohamed Ben, pour fonder la compagnie Solstis Sahara offrant des tours guidés dans le désert.Lina Audy a mis sur pied cette compagnie pour partager l'expérience du désert avec les Occidentaux. Son collègue Mohamed souhaitait de son côté créer de l'emploi pour sa communauté. Le travail des chameliers auprès des touristes permet de faire vivre une bonne partie de la population locale. Il faut savoir que, depuis environ six ans, une grande sécheresse a presque anéanti l'agriculture de la vallée du Draa, la plus grande vallée du Maroc.«Quand les gens pensent au désert, ils imaginent les dunes. Ils ne savent pas toujours qu'il y a des montagnes, des plaines et plusieurs sortes d'oasis, explique Lina Audy. Le désert offre des paysages propices au recueillement, à la contemplation et à la photographie.»«Ce que les gens apprécient le plus lors des tours, poursuit-elle, c'est non seulement la rencontre qu'ils peuvent avoir avec eux-mêmes, mais aussi la rencontre humaine avec les Berbères. Mohamed a appris le français en parlant avec des touristes, comme la plupart des chameliers. Les gens l'apprécient parce qu'il est bien organisé et qu'il se préoccupe de leur bien-être.»L'arrivée en avion se fait à Ouarzazate, après une escale à Casablanca. Chacun reçoit sa gandoura (tunique ample avec manches) et son chèche (turban). Le groupe part ensuite en direction de Zagora, où une famille marocaine accueille habituellement les voyageurs pour un repas.Dépendant de l'heure d'arrivée, la première nuit se fait soit à Ouarzazate, à Zagora ou à M'Hamid. La marche, à pas lents, peut commencer le jour suivant à travers la palmeraie de la vallée du Draa. L'expédition comprend la découverte de casbahs, des grandes dunes, de villages berbères et la visite d'une fabrique de poterie. Pour l'heure du dodo, un bivouac est installé. Cette grande tente berbère peut accueillir 15 personnes, mais ceux qui désirent plus d'intimité peuvent également apporter leur tente. Plusieurs choisissent toutefois de dormir à la belle étoile.Chaque trajet est conçu avec l'objectif de faire découvrir le plus grand nombre possible de paysages. Différents circuits sont offerts en fonction de la capacité physique de chacun. On peut compter en moyenne trois heures de marche par jour, entrecoupées de plusieurs pauses. Cependant, une personne fatiguée peut toujours compter sur l'appui d'un sympathique dromadaire.Une vingtaine de dromadaires accompagnent habituellement les groupes. Ces vaillants compagnons de route sont toujours laissés en liberté, et les chameliers doivent parfois parcourir cinq, six kilomètres pour les retracer avant la tombée de la nuit. Au matin, ils sont de nouveau relâchés, puis récupérés pour le chargement. Grâce aux traces qu'ils laissent et l'intuition des chameliers, ils sont heureusement toujours retrouvés.Solstis Sahara offre des tours guidés flexibles dont la durée peut varier de quelques jours à un mois. La compagnie accepte les demandes individuelles ou celles de groupes pouvant aller jusqu'à 30 personnes. Les prix varient donc en fonction de tous ces éléments, mais on peut compter environ 850 $ par personne pour un tour guidé d'une semaine, tout inclus.Les chameliers s'occupent de tout le côté matériel et pratique de l'expédition, soit monter le bivouac, charger et décharger les dromadaires. Toutefois, bien des touristes offrent volontairement de donner un coup de main.
Un seau d'eau sur la tête
Pour étancher leur soif, les voyageurs peuvent compter sur de l'eau embouteillée transportée par les dromadaires. Pour la cuisine, l'hygiène corporelle et le reste, l'eau est puisée dans les puits dispersés à travers le désert. Prendre une douche dans le désert permet de renouer avec les charmes d'antan : au moment d'un arrêt au puits, il suffit de prendre un seau d'eau et de se le verser sur la tête.En ce qui concerne les repas, ils sont à la charge du chef cuisinier qui accompagne le groupe : pain, fromage, soupe, omelettes, crêpes berbères le matin, salades, lentilles ou sardines le midi et tajine de mouton ou brochettes pour le repas du soir. Le pain de sable mérite également sa mention. Après avoir fait un feu sur le sable, les braises sont enlevées et le pain est placé au centre d'un trou, puis recouvert de sable brûlant. Vingt minutes plus tard, le petit régal peut être partagé entre les convives.«Le désert, c'est aussi les soirées autour du feu, avec la musique et les chants berbères, le thé sur la dune, le silence, les magnifiques couchers de soleil et parfois même les couchers de lune, raconte Lina Audy. Tout ça fait partie de l'exploration, et les souvenirs mémorables sont garantis.»
Anne-Marie LabbéLe Soleil/ Collaboration spéciale

8 janv. 2008


SAHARA, LA TENTATION DES DUNES
Point-Afrique met le grand sud algérien à portée de Marseille, là où le sable rouge des grands oueds raconte le souvenir des méharées de Charles de Foucault.
Au cœur du Sahara, dans l’avancée du désert du Niger et de l’Akakus libyen, la paisible oasis de Djanet fondée par les Touaregs ignore tout de l’agitation de la capitale algérienne si lointaine. 2300 km et une forte identité nomade les séparent.
Plus petite que Tamanrasset (400 km plus au sud), Djanet est une douce palmeraie. La capitale du Tassili est peuplée de 16.000 habitants et de 30.000 palmiers. L’Unesco finance la réhabilitation de la belle casbah un peu dégringolante. On y parle le Tamachèque, la langue des Touaregs qui roule désormais en 4x4 mais qui gardent leurs chèches multicolores. Djanet est le point de départ vers trois plateaux légendaires, le Tassili des Ajjer, le Tassili du Hoggar et le Tadrart rouge vers lequel Mustapha, un guide hors pair de l’agence Tissoukaï nous dirige.
Le désert à 2h20 de la CanebièreUn premier bivouac dans l’Oued Innoire avant de découvrir les gravures néolithiques de Tisetka. Et au soleil couchant, comme une récompense, les dunes orangées de Moulenaga déroulent le ruban spectaculaire de leur crête. Le désert n’est plus un imaginaire. Il est à la portée de tout le monde.
Animé par son fondateur Maurice Freund de la volonté de rééquilibrer les rapports nord-sud, le voyagiste Point-Afrique est un des grands développeurs de circuits subsahariens et même sahélien. Une coopérative éthique. Un Airbus A320 d’Air Méditerranée vous dépose sur une piste au milieu du sable à 40 km de Djanet. Nous sommes à 2h20 de la Canebière.
Douze circuits originaux sont proposés sur le catalogue en ligne, de la découverte initiatique à dos de chameaux aux itinéraires pour marcheurs audacieux. Que dire pour débuter d’une méharée de huit jours le long des vertigineuses falaises en grès du Tassili. Il faudra franchir des barrières de sable, traverser le déploiement féerique de regs caillouteux, des ergs de sable. Le Sahara est une somme de surprises. A l’image de la guelta d’Essendilène au sortir d’un étroit canyon. Ce grand classique est proposé à 550 euros, vol compris.
Des vaches qui pleurentUne colonne de marcheurs et d’ânes gris progresse dans le grand canyon de Tamrit. C’est le circuit des érudits. Cinq mille fresques rupestres sont recensées dans ce musée à ciel ouvert. Ces singulières représentations pariétales du néolithique subsaharien racontent un paradis perdu. Des bandes dessinées murales de chasseurs Peuls au teint cuivré coursant, lances en main, des bœufs. Le bestiaire est singulier : des girafes, des gazelles, des éléphants, des chevaux au galop et même ces vaches de Tegharghart qui pleurent entre 6000 et 10.000 avant JC. Des larmes pour faire venir l’eau, disent certains. Voilà trois ans qu’il n’a pas plu. Mina, la Manon des sables, mène une cinquantaine de chèvres vers un point d’eau... vide. Un camion de Djanet devrait venir remplir la citerne en béton.
Le ciel saharien vire au topaze quand le soleil s’incline. Moment intense. Pour beaucoup de marcheurs c’est le point d’orgue d’un réveil intérieur. Un ciel, un arbre, un caillou, du sable. Une image épurée, zen qu’aurait si bien décrite Carson Mc Cullers. Car à cet instant la majesté déjà saisissante du panorama explose dans toute sa beauté minérale. Qui ne songe, dans la descente du plateau de l’Akba Aghoum, quand le croissant de lune s’élève dans le bleu cosmique à l’épopée des pères blancs guidés par Charles de Foucault, aux déambulations à dos de chameau ou en 2CV de Roger Frison-Roche sur sa “piste oubliée”. Et cette silhouette voûtée au loin, ne serait-elle pas celle de Théodore Monod nous disant que “parler du désert, ne serait-ce pas, d’abord, se taire, comme lui ?”
C’est bivouac. Ne cherchez pas de quatre étoiles. Il n’y a que la grande Ourse. Le luxe hôtelier n’est pas dans la philosophie de Point-Afrique. Une tente ou un matelas de mousse sur le sable. Les guides touaregs creusent dans le sable pour y poser leur duvet indispensable pour les frileux de l’aube. Au réveil, on pourra être surpris par le nombre et l’étrangeté des traces autour du bivouac. Des noctambules sont passés : gerboises, fennecs, chiens sauvages parfois, scarabées et crickets. Pour sa toilette, pas d’eau mais des lingettes hygiéniques qu’on prend soin de brûler.
Les 4x4 sont équipés en Jerrycans pour rester autonomes aussi bien en essence qu’en eau pour une à deux semaines. Les nomades, fort discrets sur le sujet, connaissent toujours des points d’eau dans des canyons ou au fond d’oueds, là où le gibier vient la nuit s’abreuver.
Théodore Monod : “parler du désert, ne serait-ce pas, d’abord, se taire, comme lui ?”
A chaque campement, le cuisinier s’affaire pour composer un repas traditionnel simple et nutritif. Des crudités le midi à partir des légumes cultivés dans l’oasis de Djanet. Le soir, souper de chorba de blé, galette cuite sous la braise et émiettée avec de la viande. Mustafa le guide, c’est un peu l’aménokal (seigneur touareg) du thé servi mousseux, trois fois de suite, dans la tradition touarègue. Point Afrique a à cœur d’associer les populations locales à l’essor touristique. Et ce n’est pas une feinte de marketing que de prendre parmi les Touaregs ses guides, ses chauffeurs, ses piroguiers, ses cuisiniers, ses chameliers. Ses guides, en particulier ceux de l’agence Tissoukaï, possèdent une parfaite connaissance de leur pays. C’est d’ailleurs parfaitement insolite de les observer s’orienter dans l’immensité et l’incomplétude du désert. Les nuits étoilées valent le dernier GPS. On réalise bien vite que c’est en toute sécurité que l’on voyage. Les 4x4 sont tous équipés de téléphone satellite et de trousses de première urgence. La décennie de guerre civile n’a pas atteint Djanet ni sa voisine Tamanrasset. Le désert a imposé son rythme.
Parvenu aux dunes vertigineuses de Tin Merzouga à 300 km au sud de Djanet, c’est un panorama unique, point de vue sur les dunes libyennes et le Niger. L’ascension d’une de ces pyramides de sable rouge haute de 300 mètres est essoufflante. Le sable pénètre jusque dans les chaussettes. Pour les inquiets, c’est garanti sans sable mouvant. Et si l’on a le souffle coupé, c’est aussi par ce que le spectacle en haut des crêtes est unique au tomber du soleil. On n’est jamais au bout de ses surprises et s’il est une leçon du désert, c’est bien celle là, tant il est protéiforme, multiple et toujours fantastique. La plaine blanche de l’erg Admer vous donnera l’impression d'être un Neil Amstrong sans l’apesanteur. On n’est pas très loin non plus du décor de la Guerre des Etoiles face à ces immenses pitons de grès de Tinamali comme surgis du sable dans la nuit. Et puis cette plaine de sable qui s’étend à l’infini, tel un océan calme, tourmenté par ces gigantesques tas de pierres, comme si le bon dieu venait de passer un coup de balai. “Vous avez l’heure, nous avons le temps” semblent dire les pierres aux hommes qui marchent, perdus dans leur rêverie, sous le soleil exactement. La Marseillaise Reportage David Coquille Photos: D.C