
Bien que le chameau ait eu dès sa domestication, il y a 6000 ans (Eppstein, 1971), un rôle essentiellement utilitaire, l’homme a toujours entretenu avec lui des rapports affectifs et symboliques dont l’importance est peut-être proportionnelle aux dimensions de l’animal et aux services qu’il rend à l’homme du désert. Cet attrait pour l’animal perdure aussi bien dans les pays du Sud que dans les sociétés occidentales, pour des raisons évidemment différentes.Chez les maures de Mauritanie, le désert se décrit comme un immense troupeau de dromadaires et chaque dune est décrite comme un chameau couché. Ce
tte manière de décrire le paysage permet aux nomades de mémoriser un itinéraire et de le transmettre. Le dromadaire imprègne les rêves des uns, les descriptions du monde des autres, il inspire les poètes des temps préislamiques à nos jours.Mais il renvoie aussi à une imagerie populaire empreinte de clichés, d’a priori et de méconnaissances qui le confinent dans un positionnement passéiste, voire obsolète. Cette relation ambivalente se reflète dans les comportements sociaux, les symboles véhiculés et les politiques de développement mis en œuvre ici ou là. De nos jours, les rapports entre le dromadaire et les sociétés du Nord et du Sud obéissent à ces deux tendances divergentes entre marginalisation et idéalisation. Ils se déclinent cependant différemment selon les sociétés en question, la ligne de fracture n’étant pas celle qui sépare les sociétés elles-mêmes, mais plutôt la place que chacune d’entre elles, est prête à donner au dromadaire.1. Le dromadaire, animal marginaliséDans le jargon des agences de développement, les zones désertiques sont qualifiées de zones marginales (« remote areas »). Il n’en faut pas plus pour que le dromadaire, animal de prédilection de ces régions, soit à son tour renvoyé à la marginalisation de sa propre existence. De fait, le dromadaire accumule deux handicaps majeurs vis-à-vis des développeurs et des bailleurs de fonds : (i) animal fortement contraint à un milieu déterminé (contrairement à la vache et aux petits ruminants par exemple), il est généralement confiné aux zones arides de la planète, (ii) ses effectifs au niveau mondial (20 millions de têtes approximativement) sont dérisoires comparés au cheptel bovin (1,3 milliards) ou ovin-caprin pratiquement aussi nombreux.De fait, l’hyperspécialisation de l’espèce aux conditions désertiques, l’a rendu difficilement adaptable à d’autres écosystèmes que celui de son origine, contrairement aux autres ruminants comme les bovins, les ovins et les caprins dont la plasticité génétique a permis une large diffusion à travers la plupart des écosystèmes terrestres. A ce titre, on pourrait comparer aisément le dromadaire au yak qui ne s’est guère répandu au-delà des écosystèmes montagnards d’Asie centrale.1.1 Le dromadaire, l’animal des rebellesC’est le déclenchement, en 1990, de la rébellion du peuple Touareg au Niger puis au Mali, et avant cela du peuple Toubou au Tchad, qui fait éclater au grand jour le désespoir des nomades chameliers et leur volonté d’être reconnus et considérés par les pouvoirs publics. Cette exclusion des peuples nomades du Sahara central trouve ses racines dans les dernières décennies. Il s’agit d’un processus qui remonte aux années 60-70 et à la conjonction de plusieurs facteurs économiques et politiques :- interdiction du commerce caravanier et concurrence du transport mécanique. Au moment des indépendances des pays pratiquant l’élevage du dromadaire et du chameau, le commerce caravanier a été interdit : les touareg d’Algérie et du Niger n’eurent plus le droit de nomadiser d’un pays à l’autre, ni de commercer avec leurs caravanes. Au Niger, tout nomade pris en flagrant délit de caravane se voit infliger 3 ans de prison et la confiscation des marchandises et des dromadaires. Paradoxalement, les camions continuaient de plus belle à pratiquer le commerce de mil et de dattes entre Algérie, Niger et Mali.- l’extension de la zone des cultures de riz et de coton a diminué les terres pastorales transformant la complémentarité nomade/sédentaire en rivalité.- la création d’un impôt sur le bétail et les personnes puis les sécheresses répétées des années 73-74 et 84-86 ont contribué à casser un mode de vie à l’équilibre très fragile.- les pouvoirs centraux, pour en finir avec la rébellion Touarègue de façon définitive n’ont pas hésité parfois à empoisonner puits et vivres, à détourner l’aide internationale, et à déplacer les populations.Près de 50 ans plus tôt, en Asie Centrale et notamment au Kazakhstan, la collectivisation des troupeaux et la sédentarisation forcée imposée par le pouvoir stalinien avaient poussé les nomades à sacrifier leur cheptel ou à fuir vers des zones plus hospitalières : de 1927 à 1941, le cheptel Kazakh est passé ainsi de 1 200 000 têtes à 104 600 têtes (Moussaiev, 2002).Dans bien des pays donc, notamment ceux où le pouvoir politique est passé aux mains des « sédentaires », le dromadaire, en tant qu’animal du nomade, homme par essence difficilement contrôlable, parce qu’il est mobile et s’abstient des frontières, est renvoyé à la marginalité, voire réprimé au même titre que le chamelier.A noter cependant que les conflits politiques ont pu avoir localement, un effet secondaire bénéfique. C’est bien le conflit du Sahara occidental au Maroc dans les années 70, et le conflit au Niger, qui ont suscité un regain d’intérêt pour l’élevage du dromadaire de la part des autorités de ces pays pour apporter une réponse politique au problème du développement des régions en rébellion. C’est en effet suite à ces mouvements conflictuels que se sont mises en place par exemple, les politiques de développement de l’élevage camélin au Maroc et qu’on a assisté à un redéploiement des effectifs, ceux-ci passant de 70 000 têtes en 1985, à 149 000 selon le dernier recensement alors qu’ils avaient chuté de 56 % entre 1971 et 1985 (Faye et Bengoumi, 2001). C’est également dans le contexte de la rébellion Touarègue au Niger que s’est mis en place un projet de développement de l’élevage camélin dans la zone centrale de ce pays (Pacholek et al., 2000). 1.2Le dromadaire, animal du passéPour bien des décideurs politiques et agences de développement, y compris dans les pays à forte vocation pastorale, le dromadaire, animal du nomade, est tout autant un animal du passé que le nomadisme lui-même en tant que mode d’élevage dans des pays où sédentarisation rime avec modernisation. Dans l’imagerie des sociétés industrialisées, le dromadaire est souvent ramené à sa seule activité caravanière qui, en vertu de sa concurrence par le camion, n’a plus d’avenir. Le dromadaire ne serait plus qu’un « has been » de l’économie du désert, voué aux seules vertus du tourisme, conférant à sa présence un caractère désuet et marginal.Du reste, en matière de production zootechnique, notamment de production laitière, la mode de la vache, d’une productivité démographique deux fois supérieure (durée de gestation, intervalle entre mises bas et durée de lactation plus courte) a pu contribuer à renvoyer le dromadaire au rang de relique du passé. Pourtant, un tel choix, très marqué notamment en Somalie dans les années 80 (la vache apparaissait comme l’animal d’avenir), a pu conduire à une véritable catastrophe humanitaire lors de la sécheresse de 1998, les propriétaires de bovins ayant été beaucoup plus affectés par la perte du bétail que les propriétaires de dromadaires (Bonnet et Faye, 2000).La modernité dans le désert se conjugue avec motorisation. Même les conflits armés pour raison politique ou l’insécurité liée à une économie de prédation, s’appuient sur la mobilité des 4X4 plutôt que sur celle des dromadaires. Bien que les compagnies méharistes aient fait leur réapparition ici ou là (par exemple en Mauritanie, au Mali, au Niger) ou que les auxiliaires vétérinaires des régions sahéliennes fassent encore leur tournée à dos de chameau, le nec plus ultra des acteurs économiques ayant « réussi » dans les pays du désert, est de disposer d’un véhicule tout terrain et d’un téléphone portable. Tout au plus, le dromadaire peut apparaître comme un succédané symbolique d’une culture ancienne. Le summum semble atteint dans les pays du Golfe arabique, où les dromadaires sont transportés eux-mêmes sur les plateaux des pick-up et où la possession d’un tel animal relève de la même logique que la possession d’une tente bédouine dans le désert, non loin du très grand confort des villes futuristes, pour y passer le week-end et renouer avec une tradition ancestrale. Le dromadaire, dans ce contexte, ressemble à ces vieux puits médiévaux restaurés mais non opérationnels, ou à ces vieilles carrioles repeintes, comme simple élément de décoration des résidences secondaires dans les pays occidentaux.Avec la course au modernisme, les dromadaires perdent leur hégémonie comme auxiliaire de l’homme dans les steppes et les déserts. On comprend dès lors pourquoi, les chercheurs camélologues peuvent apparaître dans la communauté scientifique internationale, comme des originaux, des marginaux, suscitant au mieux, un léger amusement de la part des spécialistes d’espèces plus communes, au pire, une pointe de mépris pour des scientifiques s’intéressant à une espèce qui ne suscite guère qu’une centaine de publications scientifiques sérieuses chaque année, soit 20 à 40 fois moins que pour la vache. Le dromadaire, animal du passé, ne serait bon que pour les camélologues, chercheurs excentriques de par l’originalité de leur objet d’étude ?1.3 Le dromadaire, animal des cirques et des parcs animaliersBien qu’en comparaison, il ait joué un rôle assez mineur dans les sociétés occidentales, le chameau y est toutefois présent depuis longtemps comme animal de loisir dans les zoos et les cirques. Le fait qu’il y soit confiné témoigne à l’évidence de la place qu’on lui attribue dans le grand public : celui d’un animal exotique dont on envisage mal son élevage en tant qu’élevage de rente comme on l’entend pour les autres espèces domestiques, mais qu’on peut aisément « montrer » comme espèce emblématique d’un monde peu accessible (le désert). A ce titre, il est ramené au statut d’animal sauvage, capturé et « acclimaté » pour les besoins d’un public
urbain avide d’exotisme et de nature sauvage aseptisée. Ce statut est peu compatible avec la vision d’un animal d’intérêt zootechnique ayant un rôle économique majeur dans certains pays désertiques.En tant qu’espèce mise à l’épreuve de la visite dominicale des familles urbaines peu au fait de la physiologie et du potentiel zootechnique de l’animal, le dromadaire accumule les clichés et les mythes très tenaces sur ces capacités de survie et son fonctionnement biologique. Le mythe le plus récurrent est l’existence d’un stockage de l’eau dans la bosse, erreur fondamentale de la physiologie de l’animal que l’on retrouve même dans les encyclopédies juniors destinées à l’éducation des scientifiques en herbe (cf. « ma première encyclopédie » de chez Hachette par exemple).1.4 Le dromadaire, animal de loisir mal valorisé, voire mépriséDans les parcs zoologiques, cet habitué des grands espaces, est souvent cantonné dans des enclos réduits. Il est utilisé parfois pour des petites promenades pour les enfants mais son utilité comme animal de transport et ses caractéristiques exceptionnelles ne sont que rarement mises en valeur. Lorsqu’ils perdent leur laine en été il ne font qu’inspirer la pitié des visiteurs qui, dans l’état d’esprit évoqué dans le paragraphe précédent, interprètent à mauvais escient la situation. Il n’est jamais fait mention de sa qualité d’animal domestique essentiel à la subsistance de populations des zones désertiques. On n’apprend rien non plus de la production de lait, de laine, de viande. Si des efforts réels sont réalisés notamment dans les fermes pédagogiques, très à la mode en Europe, la méconnaissance de l’espèce, ramenée au statut d’animal « de promenade », sans le caractère noble du cheval, est une constante du grand public.Parfois aussi, les chameaux servent uniquement de faire-valoir pour les cirques lors des parades dans les rues des villages. Ces éleveurs improvisés, ignorants des besoins de l’animal ou bercés par les préjugés sur sa sobriété sont capables de le laisser mourir faute d’abreuvement, comme ce fut le cas lors de la canicule qui s’est abattue sur l’Europe en août 2003.Il est notable également qu’on ne dispose par exemple en France d’aucun registre d’identification des animaux, pourtant obligatoire pour la plupart des espèces domestiques (il en existe un pour les lamas notamment), et que la réglementation européenne ignore totalement le lait de chamelle comme produit alimentaire , ce qui rend son exportation en Europe, problématique et sa commercialisation difficile, comme en témoignent les difficultés rencontrées par la laiterie Tiviski de Nouakchott en Mauritanie (Abeiderrahmane, 1997).

Bernard Faye Le dromadaire, animal délaissé : le retour à l’état sauvageLes dromadaires ont été importés en Australie au 19ème siècle pour explorer les grands déserts du centre du continent. Regroupés en attelages de plus de dix dromadaires, ils étaient utilisés pour tracter les lourdes charges tels les rails et traverses de chemin de fer à travers le désert du Simpson. Avant la motorisation de l’agriculture, ils étaient utilisés comme auxiliaires des activités agricoles. Mais une fois qu’ils eurent contribué à l’équipement du pays des infrastructures modernes ou aux autres activités agricoles multiples, ils furent remerciés pour leurs bons et loyaux services et on leur rendit la liberté.Livrés à eux-mêmes, dans un environnement dépourvu de prédateurs, ils se sont multipliés pour atteindre une population sauvage estimée de 100 000 à 500 000 têtes (Gee, 1996). Aujourd’hui, en souvenir de ces dromadaires et des chameliers afghans qui les guidaient, le train qui traverse le continent du nord au sud se nomme le Ghan, du mot « Afghan », et arbore sur l’avant de sa motrice, un dromadaire monté, modeste hommage à ce pionnier de la conquête du bush.Les chercheurs ont pu mettre à profit cette situation pour faire de ce troupeau marron unique au monde un objet d’observation. Il leur permet de mieux comprendre et d’étudier le comportement de l’espèce dromadaire sans la gestion imposée par l’homme (Heucke et al., 1992). Cependant, ce marronnage n’est pas sans poser problème. La croissance démographique importante de ce cheptel commence à poser des problèmes de pression sur le milieu. Aux marges désertiques, le dromadaire féral rentrant en concurrence avec les autres espèces domestiques, un Camel Destruction Act fut édité en 1925, autorisant l’abattage des animaux « en surnombre »

François Brey Le dromadaire, champion des sables
Dans les pays du Golfe, le dromadaire est élevé comme un champion pour satisfaire le plaisir des courses d’une population bédouine urbanisée et souvent fortunée. L’organisation de ces courses est une véritable institution, menant à des investissements importants en matière d’infrastructures de course ou de laboratoires de recherche sur la physiologie de l’effort ou l’alimentation des champions. Le prix des meilleurs coursiers peut atteindre des niveaux pharamineux à l’égal des plus grands chevaux de course des pays occidentaux. Le champion est l’objet de tous les soins, d’une attention quotidienne pour sa nourriture, son confort, son entraînement.Dans les pays où la tradition sportive est moins élitiste, apparaissent également des élevages consacrés à cette seule activité de loisir. En Algérie par exemple, ceux qui en ont les moyens opèrent leur reconversion dans le transport routier comme l’a fait la famille Ben Mansour de la tribu des Chaambas, de Ouargla, mais la passion du chameau ne les lâche pas pour autant. L’animal de bât a perdu son rôle dans le transport, en revanche, le méhari, le dromadaire de course grâce auquel ils s’étaient illustrés lors de légendaires razzias, puis dans les compagnies méharistes de l’armée coloniale, devient entre leurs mains les pur-sang du désert lors de courses de vitesse qui leur permettent de revivre une époque où le chameau était le maître du désert.Plus généralement, on assiste à un renouveau de l’utilisation du dromadaire comme animal de loisir, aussi bien dans les pays développant un tourisme du désert, que dans les pays du Nord, où on offre un succédané de méharée aux amateurs d’exotisme à petits revenus, qui à défaut de parcourir les immenses espaces sahariens, se contentent des dunes de sable des plages européennes ou de l’arrière-pays côtier. Des animations sont parfois organisées dans les villes et villages à l’occasion de fêtes locales. En Australie, où l’utilisation du dromadaire à des fins productives a pratiquement disparu, la tendance aujourd’hui est à son utilisation purement « touristique ». Il existe aujourd’hui environ 40 entreprises australiennes organisant des randonnées à dos de dromadaires à travers les déserts australiens (Faye et al., 2002).2.3 Un dromadaire pour le 3ème millénaire : mythe ou réalité ? Quelle place le troisième millénaire laissera t’il à l’ami du nomade, autre versant de la question de quelle place le monde moderne laissera au nomade ? Deux aspects sont à souligner pour mieux comprendre l’évolution possible des rapports entre dromadaires et sociétés : d’une part la découverte des vertus zootechniques du dromadaire, capable de conférer au désert une véritable productivité animale ; d’autre part, le renouveau de l’intérêt porté par la communauté scientifique pour un animal qui représente un modèle biologique intéressant à bien des égards.3.1 Du vaisseau du désert à l’animal zootechniqueIl est notable que pour le grand public, en particulier pour les populations du Nord, on imagine mal élever le dromadaire pour sa viande ou pour son lait, voire pour effectuer des travaux agricoles. On ignore encore plus souvent que la productivité laitière par exemple, chez certaines chamelles bien nourries, est bien supérieure à celle des bovins laitiers élevés dans les mêmes conditions (Schwartz et Dioli, 1992). Le développement d’une véritable industrie laitière caméline est récente (Abeiderrahmane, 1997), et s’opère dans plusieurs villes subsahariennes (Faye et al., 2003) parfois sous des formes intensives de production comme en Arabie Saoudite.En production de viande, il existe une tradition d’embouche caméline dans la Corne de l’Afrique, qui a permis le développement d’un commerce international du cheptel camélin, celui-ci étant exporté depuis le Soudan, l’Ethiopie, Djibouti et surtout la Somalie vers les pays de la péninsule arabique (Faye, 2003). Ces flux commerciaux sont du reste concurrencés depuis quelques années par l’Australie. Dans ce pays, environ 10 000 chameaux, représentant une valeur de 1,52 millions de dollars américains, sont exportés chaque année, principalement pour leur viande. Ce commerce pourrait atteindre les 25 000 têtes au cours des prochaines années en raison des problèmes sanitaires auxquels sont confrontés les pays de la Corne de l’Afrique (Faye, 2003).Lait, viande, mais aussi énergie sont parmi les productions en émergence. En effet, si le dromadaire a fait sa réputation comme animal de bât ou comme animal de selle, et si son utilisation agricole est ancienne en Inde, au Maroc, en Ethiopie, de nouveaux usages sont observables comme par exemple le transport des ordures ménagères dans les villes nigériennes ou de façon plus anecdotique le développement des camel-library en Inde ou au Kenya, les dromadaires étant voués au transport des bibliothèques ambulantes de village en village.Au total, il apparaît que les pays camélins découvrent les vertus zootechniques du dromadaire contribuant ainsi à considérer celui-ci comme un élément de la productivité du désert. Même si la production de viande ou de lait, l’usage de l’énergie animale caméline est aussi ancienne que la domestication de cette espèce, le développement d’une véritable production marchande est relativement récent et a accompagné l’urbanisation croissante des villes des régions désertiques. Cela se traduit par la présence de lait de chamelle pasteurisé ou transformé dans les supermarchés ou la multiplication des boucheries camélines comme par exemple en Tunisie. L’amélioration des technologies de transformation a permis également de commercialiser des produits nouveaux comme le fromage ou la saucisse de dromadaire, contribuant ainsi à faire rentrer cet animal dans la modernité agro-alimentaire (Farah and Fisher, 2004).3.2 Le renouveau des sciences camélinesAccompagnant ce développement d’un élevage de plus en plus intégré dans les circuits marchands, la recherche caméline connaît depuis moins de 3 décennies, un réel renouveau. Si les premiers travaux sont anciens (on peut les dater de l’époque de Buffon au milieu du XVIIIème siècle), la recherche caméline a surtout connu un âge d’or pendant la période coloniale. La France notamment, et la Grande-Bretagne dans une moindre mesure, puissance coloniale occupant de vastes régions désertiques, ont développé une forte tradition méhariste au sein de laquelle les vétérinaires ont tenu une place mémorable. Une floraison d’ouvrages ou de documents a marqué cette période autour des années du milieu du XXème siècle. Certains de ces ouvrages, comme celui de Curasson en 1947 consacré aux maladies du dromadaire ont été pendant très longtemps des ouvrages de référence.Si la période des indépendances en Afrique et en Asie a vu un recul de la recherche caméline, depuis la fin des années 70 avec les Colloques et Congrès de Khartoum (1979), de Ouargla (1988), de Paris sur la reproduction (1990), de Dubaï (1992), de Nouakchott sur le lait (1994), d’Eilat (1996), d’Al-Ain (1988, 2002, 2006), de Ouarzazate sur le chamelon (1999), d’Almaty (2000), d’Ashkabad (2004) pour ne citer que les plus importants, on assiste à la redécouverte de l’intérêt scientifique du dromadaire. Une communauté scientifique internationale de camélologues se construit peu à peu .Les nouvelles tendances de cette recherche sont détaillées dans une publication précédente (Faye, 2004). On peut en rappeler ici les grandes lignes : le dromadaire interroge la Recherche en tant que modèle biologique, par son métabolisme particulier de l’adaptation aux conditions désertiques, par ses capacités pharmacologiques (métabolisme des xénobiotiques) et immunologiques (structure des immunoglobulines) uniques parmi les mammifères supérieurs, par les caractéristiques médicinales de son lait dont la composition, notamment en lactoprotéines thermorésistantes, révèle des particularités qui intéressent la médecine et la diététique humaine. Il interpelle également les chercheurs zootechniciens en tant que producteurs de biens zootechniques à haute valeur ajoutée comme le lait de chamelle, mais aussi parce qu’il peut être soumis à une intensification de sa productivité numérique par des programmes d’amélioration de ses performances de reproduction incluant l’intégration de biotechnologies modernes de la reproduction comme l’insémination artificielle ou le transfert d’embryons. Il est judicieux d’y ajouter les travaux sur le dromadaire de course, sur toutes ses activités physiologiques liées à l’effort, ainsi que les recherches pour une meilleure maîtrise sanitaire. Il intéresse enfin les chercheurs en écologie en tant qu’élément central des écosystèmes désertiques. Il est en effet un élément essentiel de la lutte contre la désertification, en maintenant une activité pastorale dans les régions les plus marginales de la planète. Il est un élément de la productivité des zones arides en permettant l’émergence d’une véritable économie pastorale marchande comme en témoignent les exemples de Mauritanie ou du Niger autour des laiteries à base de lait de chamelle. Enfin, il permet la valorisation du désert en autorisant l’apparition ou le développement sur les marchés de produits « terroir » à forte identité culturelle, comme par exemple, le lait fermenté d’Asie Centrale (Konuspayeva et al., 2003). La science redécouvre ainsi les vertus biologiques, zoot
echniques et écologiques d’une espèce qui rentre ainsi de plain pied dans le 3ème millénaire dans lequel il a toute sa place.ConclusionA l’ère de la mondialisation, le dromadaire semble retrouver ici son rôle de rassembleur de peuples que l’abandon des grandes routes caravanières lui avait enlevé, et de nouvelles perspectives s’ouvrent à lui comme animal de loisir, dans le domaine gastronomique, par la commercialisation du lait de chamelle et de ses dérivés, et dans le domaine écologique, par son rôle dans le combat général contre la désertification. En effet, dans un monde qui s’inquiète à juste titre du devenir écologique de la planète, il est bon de rappeler le rôle irremplaçable du dromadaire dans la lutte contre l’avancée du désert. Par sa productivité laitière supérieure à celle des bovins qui permet de diminuer la pression sur le milieu quand les troupeaux de camélins remplacent ceux de bovins, par son mode d’alimentation préservant les jeunes arbres et par la grande diversité des plantes qu’il ingère évitant ainsi un surpâturage spécifique et la nécessité des feux de brousse, par sa mobilité qui contribue également à une utilisation optimale des espaces pâturés, par sa résistance à la soif qui autorise les pasteurs à valoriser des espaces pauvres en eau mais riches en herbe, par son mode de pâturage dispersé et par ses pieds souples et tendres qui limitent le piétinement serré dénudant les sols, le dromadaire est un atout dans la préservation et l’utilisation durable des espaces arides et semi-arides.Si le dromadaire constitue l’un des moyens de limiter, voire d’enrayer l’avancée des déserts, alors il est plus un animal de l’avenir que celui du passé. Il y prendra dès lors sa place réelle, ni marginalisée, ni idéalisée, mais celle d’une authentique activité économique au service des peuples des régions désertiques.

Texte de Bernard Faye1 et François Brey21. CIRAD-EMVT, Campus International de Baillarguet, 34398 Montpellier cedex2. Association Camélomane, 20 rue du Terrage, 75010 Paris
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