Les peintres de la pluie
Entre 12 000 et 3 000 ans avant aujourd'hui, le Sahara était un éden verdoyant où les inventeurs de l'élevage ont peint et gravé leurs mythes et leur quotidien. Reportage au Tassili«Je m'appelle Debbaghi. Moi, j'aime Dider. Et je suis là ! » Martelée sur une dalle de roche, noircie par l'oxydation, cette profession de foi en tifinagh, écriture apparue quelques siècles avant Jésus-Christ et encore utilisée par les Touareg, pourrait avoir environ 2 000 ans. En tout cas ce vénérable tag est largement postérieur aux quelque 150 fabuleuses gravures rupestres, aux traits nets et soigneusement polis, qui couvrent 40 mètres carrés de la roche mollement arrondie de Dider. Un « paradis » situé dans la dépression de Tin Teghert, un maâder, vallée recueillant les improbables eaux de plusieurs oueds, situé au coeur du Tassili des Ajjer, dans l'extrême sud-est du Sahara algérien.Girafes, antilopes oryx, rhinocéros et son petit, lièvre et, surprise, boeufs aux dimensions démesurées décorés de dessins spiralés, vache aux onze pis... Une faune à laquelle se mêlent des hommes, des femmes et des chiens, qui n'a pu prospérer à Tin Teghert que sous un climat humide. Aux antipodes du désert des déserts qui régnait en maître aux temps du chamelier poète Debbaghi.Effectivement, « lorsque les hommes ont gravé la roche de Dider, le climat du Tassili des Ajjer était radicalement différent de ce qu'il est aujourd'hui » , explique la préhistorienne Malika Hachid. Vingt ans durant directrice du parc national du Tassili, inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l'humanité, elle connaît parfaitement ce musée à ciel ouvert qu'elle raconte dans son livre « Le Tassili des Ajjer » (1). Un « paradis perdu », pour reprendre l'un des thèmes de la superbe exposition que le Muséum national d'histoire naturelle de Paris consacre aux « Saharas d'Algérie » à l'occasion de Djazaïr, Une année de l'Algérie en France (2).Au désert froid et sec, imposé à sa périphérie par la glaciation de Würm dans l'hémisphère Nord, qui avait tari les fleuves Sénégal, Niger et Nil, se substitue, voici 15 000 ans, une période chaude et arrosée : le « grand humide ». Les pluies reviennent par la bordure occidentale du Sahara puis gagnent vers l'est. Elles touchent les hautes terres, puis les vallées et les plaines. Tant et si bien que, il y a 10 000 ans, « la surface du Sahara actuel était jalonnée de vastes marécages ou de lacs poissonneux, alimentés par des précipitations aux valeurs bien loin des actuelles : 400 mm au lieu de 60 mm dans la région d'Arouane au Mali, 250 mm au lieu de 5 mm dans celle de Taoudenni » , ainsi qu'a pu le reconstituer la géologue française du CNRS Nicole Petit-Maire (3) à partir de milliers de dépôts lacustres et de témoins biologiques : pollen, restes osseux, pièces archéologiques...Les oueds sahariens, devenus rivières plus ou moins permanentes bordées de forêts-galeries, entretiennent alors un méga-lac Tchad, véritable mer intérieure. Les crues du Nil atteignent de tels niveaux qu'aucune occupation humaine n'est possible sur ses rives. La civilisation égyptienne devra patienter encore quelque 50 siècles avant de pouvoir s'implanter le long du fleuve pharaonique.La grande faune, croquée par les artistes de Dider, investit le nouvel éden saharien. Les hommes suivent le mouvement. Les populations très clairsemées de chasseurs-cueilleurs, refoulées au paléolithique par le grand désert froid, sont remplacées, au milieu du « grand humide », par des hommes qui inventent un mode de vie révolutionnaire : la civilisation néolithique, version pasteurs suivant leurs troupeaux de bovins domestiqués de pâturage en pâturage.A nouveau mode de vie et nouvelle technologie, nouvelle structure sociale, nouvelle croyance, nouvelle représentation du monde, nouvelle expression artistique. On ne sait pas si les hommes qui ont gravé la roche de Dider étaient encore des chasseurs ou déjà des éleveurs. Mais leurs plus anciennes oeuvres, qui remontent au moins à 8 000 ans, mettent souvent en vedette le fameux bubale (Bubalus antiquus), énorme bovidé sauvage, disparu il y a 6 000 ans. D'où le nom de « bubaline » donné à cette période de l'art pariétal du Tassili des Ajjer.Un art qui, sur 30 kilomètres le long de l'oued Djerat, non loin de la bourgade d'Illizi, dont le nom est devenu tristement familier, avec l'enlèvement dans cette région de touristes européens par un groupe armé, s'en donne à coeur joie en une profusion de scènes. Dans ces ensembles, « l'homme apparaît peu souvent, généralement représenté en dimensions réduites à proximité d'animaux dont il touche le contour. Il semble porter des masques de chasse. Un autre grand thème est à caractère sexuel. Des figures féminines et surtout masculines sont représentées avec un sexe hypertrophié. Dans de nombreuses scènes d'amour, les hommes portent aussi des masques » , explique Sid Ahmed Kerzabi, archéologue algérien spécialiste du Tassili des Ajjer.Autre style, autre technique artistique, autre peuple, autre croyance. S'il est difficile de dire d'où venaient et qui étaient les artistes graveurs de la période bubaline, en revanche, les hommes qui les avaient précédés, et qui ont réalisé les peintures pariétales dites des « têtes rondes » ( voir schéma chronologique ), étaient négroïdes, puisqu'ils se sont représentés comme tels. Installés dans la région, peut-être avant les débuts du grand humide, les peintres des Têtes rondes s'étaient consacrés à l'art « religieux ». Ils ont ainsi transformé la forêt de pierre de Sefar ( voir l'article de Marie Audran ), sur le plateau qui surplombe Djanet, en véritable « temple » , pour reprendre l'expression de Malika Hachid. Un « temple » peuplé de dieux étranges et gigantesques qu'Henri Lhote explora, grâce au Touareg Machar Jebrine ag-Mohamed (1890-1981) qui le guida. Le musée de l'Homme consacre aux relevés que l'expédition, conduite de façon encore très coloniale, fit de ces peintures une exposition intitulée « Mémoires de pierre » (4).Amoureux de leur troupeauxOn ne sait pas avec certitude si ces têtes rondes, adeptes des peintures corporelles qui, lors des cérémonies, portaient des masques ressemblant à ceux de nombreuses sociétés traditionnelles d'Afrique noire, étaient des chasseurs-cueilleurs purs. Peut-être avaient-ils déjà entrepris de domestiquer le mouflon et pratiquaient-ils une agriculture rudimentaire. En revanche, ce qui est certain, c'est que, à partir de 5 500 ans avant le présent, les « bovidiens » furent des pasteurs amoureux de leurs troupeaux. Ils se sont représentés, ainsi que leurs troupeaux, avec un luxe de détails ahurissants. Scènes de chasse, de campements, d'activités familières, mais aussi de rituels et d'amour. L'essentiel de l'oeuvre de ces peintres de la pluie est consacré à leurs chers troupeaux de bovins et d'ovins, qu'ils suivent, de pâturage en pâturage, avec femmes, enfants juchés sur le dos de boeufs qui transportent l'armature des cases avec, arrimés aux cornes, calebasses et baluchons.Leur chef-d'oeuvre est, incontestablement, la scène dite de « la vache qui pleure », gravée à Djerat, non loin de Djanet. On y voit des bovins à larges cornes en lyre, descendant la berge d'un point d'eau, une grosse larme - sans doute de sel - à l'oeil. Ces animaux n'ont pas une robe uniforme comme le buffle et le bubale sauvage, ils sont bicolores, la marque indubitable de la domestication.Dans une scène peinte, relevée à Tin-Tazarift par l'équipe Lhote, l'écrivain malien Amadou Hampaté Bâ pensa reconnaître la cérémonie du Lootoori, au cours de laquelle les pasteurs peuls procèdent au lustrage de leurs troupeaux. Les Peuls seraient-ils les descendants des pasteurs bovidiens chassés de l'éden saharien par le retour définitif de l'aridité entre 3000 et 1000 avant le présent ? Sa thèse est discutée. Mais, à en juger par les types humains représentés, il est certain que plusieurs ethnies, du mélanoderme sombre au Berbère blanc, y cohabitèrent, ou s'y succédèrent, durant les quarante siècles de la civilisation bovidienne.Vers la fin de cette période, aussi appelée pastorale, alors qu'un intermède plus humide modère la tendance lourde à l'aridification, un nouvel animal fait son apparition dans les fresques : le cheval. Cette époque caballine met en scène des chars de guerre tirés par des attelages de deux à quatre chevaux qui semblent voler. Ils sont menés par des guerriers à la silhouette caractéristique, dite bitriangulaire, et dont la tête est figurée par un simple trait vertical. Les chèvres ont remplacé les bovins. C'est alors qu'apparaissent les premières inscriptions en tifinagh, « classée parmi les langues libyques » , précise Sid Ahmed Kerzabi. Ces guerriers aux chevaux « volants » seraient-ils les fameux Garamantes cités par Hérodote, un peuple libyen lancé, au travers du Sahara, à la poursuite des Troglodytes ? A moins qu'il ne s'agisse de guerriers appartenant aux Peuples de la Mer, débarqués de Crète pour s'attaquer à l'Egypte ?Quoi qu'il en soit, lorsque les artistes de la période caballine s'expriment au Tassili des Ajjer, l'avenir des verts pâturages sahariens est scellé. Les hautes pressions anticycloniques viennent s'échouer à la latitude du tropique du Cancer. L'air, surchauffé au niveau du sol, ne parvient plus, en s'élevant, à percer ce couvercle de plomb. Les vents chauds et secs comme l'harmattan, le khamsin, le sirocco, qu'engendre cette situation, repoussent l'air gorgé d'eau des deux réservoirs inépuisables que sont l'Atlantique, à l'ouest, et les forêts tropicales et équatoriales, au sud, comme l'explique le géographe Pierre Rognon dans son livre « Biographie d'un désert » (5).Les frontières du Sahara ainsi bien défendues contre l'humidité, le superdésert va, désormais, s'autoentretenir. Tant et si bien qu'aux derniers siècles de la préhistoire les fresques du Tassili des Ajjer accueillent un ultime animal : le dromadaire, Camelus dromedarius pour les biologistes. Cette période cameline dure encore, même si celle des 4 X 4 japonais, du pétrole et du tourisme est en passe de la supplanter... Qu'importe car, depuis le néolithique, qu'on l'aborde en transhumant derrière un troupeau de bovins, juché sur un char « volant », au pas lent du dromadaire ou en 4 X 4, le désert déclenche toujours chez l'humain la même émotion animiste d'appartenance à l'Univers. Gageons que c'est ce « sentiment océanique » , comme l'appelait Sigmund Freud, qui a guidé la main des artistes du Tassili des Ajjer et inspiré la déclaration d'amour de Debbaghi à Dider.
1.Editions Edif 2000 Paris-Méditerranée.
2. Muséum, galerie de Botanique, 10, rue Buffon, Paris 5e, jusqu'au 12 octobre 2003.
3. « Sahara, sous le sable... des lacs », CNRS Ed., 2002.
4. Palais de Chaillot, jusqu'au 5 janvier 2004.
5. Plon, 1989.
Chef-d'oeuvre en péril« Lorsque tu verras Jabarren, tu seras médusé ! » avait dit le lieutenant Brenans, des troupes sahariennes, à l'explorateur Henri Lhote avant son départ pour le Tassili en 1956. Mais aujourd'hui, lorsque, venant de Djanet et après trois heures de rude montée, on arrive au col d'Aroum dans cette incroyable cité pétrifiée aux colonnes de grès sombre, on est effectivement médusé devant la... décrépitude des quelque 5 000 figures multimillénaires qui ornent les parois de la forêt de pierre. Les « géants », peints par les « Têtes rondes »,que l'explorateur français comparait à des « Martiens » tombés du ciel, sont dans un état lamentable. Dégradation naturelle, certes, due au ruissellement des eaux, aussi rare que violent dans ce lit d'oued, mais surtout vandalisme signé de la main de l'homme.Après les années noires du terrorisme, les touristes, qui fuyaient le Sahara algérien, reviennent depuis la fin de 1999. Allemands, Autrichiens, Italiens, Français sont de plus en plus nombreux à venir admirer les fresques du Tassili. Environ 3 000 visiteurs en l'an 2000, près du double en 2002. Alors qu'il était fait obligation d'être accompagné d'un guide local pour monter sur Jabarren, aucun gardien ne semble plus contrôler le flux des touristes. Seuls 130 fonctionnaires surveillent aujourd'hui ce musée d'art préhistorique à ciel ouvert grand comme deux fois la Suisse !Outre les nids de frelons et les champignons microscopiques qui « mangent » les parois, les touristes mouillent la roche avec du soda pour révéler les couleurs. Les peintures s'effacent, la pierre s'effrite. De certaines fresques, qui s'étalaient sur plusieurs mètres, il ne reste que de vagues traits, une tête de boeuf par-là, une croupe par-ci. Il faut scruter longtemps pour deviner les motifs, parfois recouverts de graffitis. Les enclos de cailloux placés devant les oeuvres semblent peu dissuasifs. On trouve aussi des boîtes de sardines, de la ferraille...Le mauvais exemple vient de loin. Les photos prises lors de l'expédition d'Henri Lhote en 1956 montrent les artistes de son équipe en train de « lessiver » les ocres à l'éponge ! Un « bon nettoyage des parois » destiné à raviver les couleurs pour mieux relever les figures, qui fut répété durant trois mois... Marie Audran27/06/2003 - © Le Point - N°1606
Bonjour Hassan,
RépondreSupprimerJe vous aurorise à publier les photos bien sûr mais seulement celle qui ne sont pas marquées par exemple celles ou vous voyez "Photo Gaëlle le Brec" ne sont pas de moi et je ne peux donc pas vous autoriser à les publier.
Si vous publiez certaines de mes photos, merci d'écrire qu'elles sont de moi.
Merci pour votre message.
Je vais voir votre blog et le mettre en lien sur le mien.
merci encore
Vincent