27 juin 2008

La passion du désert.

Grands Reporters - La passion du désert.
Mauritanie-Niger-Egypte... La traversée de l’Atlantique à la Mer Rouge
La passion du désert.
Il est le dernier refuge de l’absolu silence. Depuis des millénaires, le vent y efface les pas des caravanes qui le traversent. Même ceux qui y vivent ne peuvent se vanter de l’avoir tout à fait apprivoisé. Aujourd’hui, il a de plus en plus d’amoureux qui vont y chercher une beauté inconnue et une part d’eux-mêmes que la civilisation avait occultée. « Le désert ponce les âmes », écrivait Théodore Monod. Des vagues de l’Atlantique à celles de la mer Rouge, des dunes blanches en roches noires, Jean-Paul Mari a traversé, en sept étapes, le plus grande immensité désertique du monde
1. Banc d’Arguin : quand la vague devient dune Mauritanie Elles arrivent du grand large, venues d’un autre continent, lourdes, puissantes mais harassées, leurs lèvres ourlées d’écume salée, après le prodigieux effort de cette course à travers l’océan. Quand les vagues de l’Atlantique se posent enfin sur la plage, elles pétillent de plaisir en déversant leur eau profonde, bleue, glaciale, et le sable du désert de Mauritanie en frémit. Un instant, tout paraît s’arrêter là avec ces vagues qui viennent mourir au flanc brûlant de l’Afrique. On file à toute allure le long de la plage à marée basse, sur l’axe qui relie Nouakchott à Nouadhibou en évitant l’intérieur des terres aux pistes molles et voraces. Surtout ne pas tomber dans le piège de la sebkha, une croûte de terre apparemment dure qui cache la fange des marais salés, d’où l’eau visqueuse jaillit au passage des roues avant de vous engluer comme un insecte. Autant rouler vite et léger au bord de la plage, en évitant l’avancée des vagues, le bras tendu à la portière, le nez au vent, saoulé d’iode, d’air et de lumière. Le 4x4 fait lever des nuages de centaines de cormorans qui décollent sous les roues et auréolent la cabine du blanc du dessous de leurs ailes. Ici, dans les vasiers gris-vert qui entourent les îles du Banc d’Arguin, viennent se reposer les grands migrateurs, les colonies de flamants roses, le héron cendré, le pélican blanc, l’aigrette dimorphe, la spatule blanche, le sterne royal et le goéland railleur. Ici, la mer est riche et les Bédouins de la tribu des Imraguen ont fait alliance avec les grands dauphins pour mieux piéger les immenses bancs de mulets. Quand les hommes s’avancent dans l’eau en frappant les vagues avec leurs bâtons, les cétacés rabattent aussitôt le poisson vers la côte. Les Imraguen tendent leurs filets, les dauphins fouillent dans les vagues, engloutissent les mulets qui cherchent à s’enfuir et la pêche est toujours miraculeuse. On roule de plus en plus vite pour échapper à la marée haute, en croisant les dizaines d’épaves de cargos échoués qui ponctuent la côte, coque rouillée, crevée, plantée dans le sable, la proue tournée vers le désert, momifiées dans un ultime essai d’abordage. Devenus malgré eux phares, balises ou sentinelles éternelles, leurs bras décharnés de ferraille rongés par le sel, les grands navires fantômes ont toujours l’air de vouloir appareiller. Comme cette frégate qui a cherché à doubler le cap Blanc en marchant trop longtemps vers le sud, là où les fonds remontent, avant de talonner un banc de sable. C’était il y a cent quatre-vingt-cinq ans, la mer en juillet était mauvaise et le radeau surchargé. A bord, il y avait 147 rescapés, des vagues jusqu’à mi-cuisse, peu d’eau et pas mal de vin. Les survivants se sont battus, ont jeté les plus faibles à la mer, mélangé leur urine à l’alcool et fait sécher de la chair humaine sur les cordages. Treize jours plus tard, quand le brick l’« Argus » venu du Sénégal a retrouvé le radeau de la « Méduse », ils n’étaient plus qu’une quinzaine d’hallucinés accrochés à une épave maudite, dont Géricault le scandaleux fera un tableau magnifique. Eux aussi avaient confondu l’eau et le sable. Je regarde la grève aussi sombre qu’un fond marin, la plage qui se ramasse et monte en pente douce, ce début de dune arrondie comme une nouvelle contraction de l’onde, la masse de sable venue de la mer qui s’éclaircit, enfle, se gonfle pour reprendre sa forme originelle. A observer la mer derrière et la cavalcade des dunes devant soi, on comprend que les vagues ne font que continuer leur chemin. Tout roule, avance, ondule, se transmet dans le même mouvement. Simplement, la goutte d’eau est devenue grain, l’eau s’est transformée en sable, l’écume blanche en poussière de coquillages, la vague en dune, la mer en désert. On grimpe au sommet de la plus grande butte, là où commence l’erg de l’Akchâr, son sable si fin, crémeux, ocre rose poudré d’or. Il suffit de plonger la main au creux de la dune et de l’élever. On ouvre les doigts et il pleut du sable, de l’eau, du temps. Devant, le désert déroule ses dunes une à une, comme une invitation. Jusqu’où vont-elles ? Pour le savoir, il suffit de les suivre. Plein est.
2. Un érudit sous la tente, l’addax et les Nemadis Mauritanie Ensablé, bien sûr, la pelle à la main. La piste est rouge tendre, le sable si mou et on se laisse facilement prendre par ce corps-à-corps langoureux avec les dunes. Mohamed Ould Mouloud vit tout près, à une quinzaine de kilomètres de la route qui mène à Tijikja, abritée par une volée de dunes. Le voilà, droit à 75 ans, mèche blanche sur un grand front, le cristallin brûlé par trop de soleil, en chèche noir et gallabiah blanche, les pieds nus mais un pull de laine malgré une température de 30 degrés. Autrefois préfet de Néma, il a préféré se retirer sous cette tente où il offre une calebasse de srig frais, le lait de chamelle, aussi doux que du lait de coco. Il écrit ici des livres à l’imparfait du subjonctif sur « l’Arabie avant l’islam » ou « la Mauritanie avant la colonisation française », déchiffre les manuscrits anciens, étudie la littérature iranienne, parle le persan et s’excuse de ces « simples curiosités d’amateur ». Au fond de sa tente, un trésor, de grosses malles en acier, empilées et cadenassées, bourrées d’une tonne et demie de livres : « Ma petite bibliothèque du désert. » On se prend à rêver de fouiller ces malles où repose une partie de l’histoire de ces dunes, de leurs animaux mythiques et de leurs tribus perdues. Comme l’addax et les Nemadis qui hantent toujours les conversations des Maures. L’addax, la grande antilope du désert, haut de 1,50 mètre au garrot, avec de longues cornes effilées en forme de lyre, farouche, quasiment invisible, doté de larges sabots qui lui permettent de galoper au sommet des dunes les plus molles. Doté d’un métabolisme unique, il peut ne boire qu’une seule fois par an, se contente d’herbes sèches, trouve ses pâturages en suivant les éclairs lointains des orages, laisse sa température corporelle grimper sans dommage jusqu’à 42 degrés et rejette une urine si concentrée qu’elle solidifie le sable. On le recherche pour sa viande et parce qu’on croit que sa peau éloigne les reptiles depuis que des chasseurs ont retrouvé des serpents dans son estomac. Les chasseurs, ce sont les Nemadis, une espèce d’humains à part, une secte, une tribu, une caste, mi-parias, mi-gitans des sables, qui s’habillent d’une courte tunique bleue et dorment dans des anfractuosités de rocher. On ne naît pas nemadi, on le devient, on les rejoint comme on quitte le monde des humains. Ils sont respectés, craints, méprisés. Et leurs seuls compagnons sont les chiens de leur meute, les sloughis, qui les aident à traquer l’addax, à le pousser au fond des vallées où sont tendus des filets. Entre le Nemadi et ses chiens, la relation est mystique. Chaque meute est hiérarchisée, chaque chien a un nom, chacun a un rôle. Et le combat entre le Nemadi et l’addax se termine toujours la lance à la main face à l’antilope aux longues cornes qui défend chèrement sa vie. Face à face. La rébellion armée en quête de nourriture, l’arrivée des véhicules tout-terrain et des kalachnikovs ont brisé les règles et réduit l’addax à quelques centaines d’individus qui courent encore sur la frontière mauritanienne, dans le Ténéré et le désert du Tchad. L’addax, menacé de disparition, est plus invisible que jamais. Et les Nemadis, qui ne vivent qu’en courant vers leur antilope sacrée, risquent de disparaître avec elle.
3. Aoudaghost, sur la route des grandes caravanes Mauritanie C’est une muraille en plein désert, haute de plusieurs dizaines de mètres, une barre de lave noire, de blocs grumeleux taillés par le vent de sable. Infranchissable. Il a fallu laisser la côte à un bon millier de kilomètres derrière nous, rouler en bordure des épineux du Sahel et avaler un interminable plateau de cailloux coupants, pour buter là, au bord du désert des Aouker, sur ce rempart mystérieux. On glisse sur le sable amassé à ses pieds en suivant l’enceinte d’un immense château fort naturel. Où est le pont-levis ? Ici, dans cet oued à sec qui ouvre sur une dune plus molle que les autres. Un chèche noir goudronné accroché à une clôture, quelques chameaux effrayés, l’ombre rouge du voile d’une femme qui s’enfuit, une tente blanche... Nous sommes à Aoudaghost, ancienne capitale de l’empire du Ghana, forteresse du désert autrefois puissante et sûre où les caravanes d’un Islam doré se réfugiaient au terme d’une très longue marche, où les entrepôts regorgeaient d’une extraordinaire richesse. Au début était la « soif du sel ». C’est elle qui, pendant dix siècles, a imprimé la route des grandes caravanes. Du nord au sud, deux grands axes étaient tracés. Le premier, le plus ancien, partait du Mzab et descendait plein sud vers les salines de Taoudéni au nord du Mali ; le deuxième obliquait à l’ouest, de Goulimine au Maroc vers Ijil, la mine de sel de Zoueirat, puis visitait tous les grands havres du désert, villes caravanières de Ouadane, Chinguetti, Tichit, Aoudaghost, Oualata aux portes du Mali. Un lettré de Chinguetti du XVIIIe siècle parle du passage d’une caravane de 32 000 chameaux ! Et le grand Ibn Battuta a raconté ces marathons de trois mois, émaillés de tronçons désespérement secs où les hommes et les bêtes devaient franchir 700 kilomètres - vingt jours de marche ! -, sans un seul point d’eau. Attachés aux bâts des chameaux, les pains de sel étaient riches en sulfates, introuvables au Sahel dans ces pays du Soudan, Bilad As-Sudani, « pays des Noirs » - une médecine indispensable aux éleveurs africains pour administrer la « purge salée » qui soignait leur bétail et le débarrassait des parasites. Du sud, en échange, on rapportait l’or du Mali, le mil et le sorgho pour nourrir les Sahariens, l’ivoire des éléphants de la forêt, la résine de l’acacia du Sénégal, cette gomme arabique qui teint les tissus ou soigne la toux, les plumes d’autruche qui ornaient les chapeaux de la cour à Versailles et, toujours, solidement encordés, des colonnes de centaines d’esclaves noirs. Ebène précieux à expédier vers l’Amérique, les Antilles et, bien après l’abolition de l’esclavage, vers le Maghreb, la Libye et les oasis d’Egypte. A l’aller ou au retour, la caravane était riche et l’aventure périlleuse. On partait, au risque de mourir de soif, de se perdre dans l’immensité des sables ou de subir les rezzous des Rgueibat qui descendaient du nord attaquer jusqu’à Tombouctou. On n’oublie jamais une razzia dans le désert. Quitte à poursuivre l’assaillant et à frapper sa tribu chez elle, à 1 000 kilomètres de l’embuscade, six mois ou un an après, s’il le faut ! Pour se protéger, les chefs de caravane louaient des escortes armées, payaient une taxe au passage, s’alliaient avec les tribus sahariennes locales ou brandissaient le saint Coran, en promettant l’enfer aux pillards ignorants. Derrière les chameaux chargés de sel, marchaient aussi des hommes et des idées, commerçants lettrés du Mzab, géographes du Caire, philosophes d’Andalousie, porteurs de culture et de religion. Comme Iman Al Hadrami, grande figure almoravide, né à Kairouan, recruté à Marrakech, étudiant à Grenade et qui a voyagé dans tout le Proche-Orient avant de mourir en l’an 1096 à Atar. C’était l’époque de « l’or musulman », de l’islam voyageur et éclairé au temps où Gênes et Venise émergeaient du Moyen Age. C’était l’époque où Aoudaghost était la capitale prospère de l’empire du Ghana, entre le fleuve Niger et le fleuve Sénégal, avec un souverain, une cour, des tribus soumises, une armée qui défendait les caravanes et une forteresse pour accueillir leurs trésors. A l’abri de ses remparts, on pouvait troquer, prier dans la plus ancienne mosquée du désert, fabriquer des clous en fer, des bracelets en laiton, des perles de terre et des bijoux de verre. Aujourd’hui, ne restent de cette splendeur passée qu’une vaste cité en pierre noire, en ruines, blottie contre la montagne au pied des Aouker, et l’énigme de ses habitants disparus dont les squelettes tombent en poussière au moindre coup de pinceau. Certains disent que la grande Aoudaghost a disparu, mise à sac par une invasion venue du nord en 1054. D’autres affirment que la cité métallurgique est tombée quand ses esclaves se sont révoltés contre leurs maîtres. La vérité est sans doute plus simple. Aoudaghost vivait sur la route des caravanes, cette route a changé et la belle capitale a périclité jusqu’à l’abandon. Avec la colonisation, les nouvelles villes, les grands ports, le chemin des marchandises ne cessera de dévier vers l’ouest jusqu’à longer frileusement la côte. La guerre du Polisario a coupé le reste du cordon ombilical. Et le désert a gardé pour lui la mémoire des grandes cités caravanières comme Aoudaghost, fabuleux port d’antan ensablé en plein Sahara.
4. Entre Aïr et Ténéré, un combat de titans Niger D’emblée, le silence, nouveau, palpable, comme un cinquième élément. Il y avait la terre, l’eau, le feu, l’air. Il y a maintenant le silence. Ici, en arrivant, on mange toujours trop, on boit trop, on parle trop. Il faut s’asseoir, sentir d’où vient le vent, se recaler, prendre sa place. Devenir un grain de sable qui fait son chemin, un grain d’humanité, un grain de ciel. Etre nu. « Le désert ponce les âmes », écrivait Théodore Monod. Au matin, quand la dune blanchit, la lentille dorée qui affleure la crête annonce un nouveau jour brûlant. Les chameaux blatèrent, se plaignent comme si on les égorgeait parce qu’on serre les sangles du bât. Un thé bouillant et très fort vous ramène à la vie et l’on est déjà parti. En laissant derrière soi un filet de fumée bleue d’un feu bientôt éteint. Un combat de titans nous attend. La piste s’élève dans les dunes. A l’est, le Ténéré, désert des déserts, entre les massifs de l’Aïr et du Tibesti, 1 200 kilomètres de sable, un océan de paix minérale, lisse et absolument plat, sans repère, sans horizon, où l’oeil peut suivre la courbure de la terre, où l’homme est pris de vertige. On aimerait traverser à la voile cette mer de sable liquide que le vent pousse vers les falaises noires de l’Aïr, plateau volcanique qui a basculé il y a deux cents millions d’années. D’abord, au sud, l’Arakaou, croissant de montagne dans lequel s’engouffre une énorme vague de sable multicolore, magique ; puis le Takolokouzet, l’Adrar Chiriet, les monts Agalak, Taghmeurt et Baghzane. Et, tout au nord, l’immense falaise du mont Gréboun, haut de 2 310 mètres, le front en avant, tourné vers le Ténéré. Le conflit est inévitable entre le sable aérien qui veut avancer et cette barrière de lave volcanique, rempart de l’Aïr. Alors, l’océan du Ténéré perd sa sérénité. Il se gonfle et jette ses premières vagues, sans effets. Il redouble de force et de violence et ses vagues de dunes montent à l’assaut vers le ciel jusqu’à 150 mètres de hauteur. Le sable frappe la montagne avec la violence d’une grande marée, d’une tempête d’Ouessant, d’un tsunami sur le delta du Bengale. Il vole, accroche enfin les crêtes noires, les submerge d’une écume dorée qui sourd sur l’autre versant du Gréboun, ruisselle sur ses pentes et comble ses creux de roche. Nouvelle vague. Celle-là va briser la montagne ? Non. L’Aïr ne fléchit pas. Ses volcans noirs, éboulés mais debout depuis la nuit des temps, opposent un front ridé, craquelé et antédiluvien à la tempête du Ténéré. Combat sans fin et perdu d’avance. On se plante dans un creux de sable, dans le ressac, au milieu de cette tempête immobile. Noires, les montagnes de l’Aïr, pitons, caps et promontoires ; blondes, les vagues de dunes qui roulent vers l’assaut ; bleu cru, la trouée du ciel entre les deux, parcouru de flammèches dentelées, cirrus du monde d’en haut qui ne sont ici que des gerbes blanches d’écume de mer. Le sable, l’air, le feu du soleil qui regarde implacable ce combat de titans, guerre sans fin et sans victimes, tous les éléments se mêlent en une furie tranquille, un mouvement immobile et permanent qui vous allège le corps et vous berce l’âme.
5. Iférouane, mirages et hommes bleus Niger Je me rappelle un mirage dans un désert terne et sale. C’était en Arabie saoudite après de longues heures de piste. Soudain, des dizaines de voiles blanches, triangulaires et bien dessinées, sont apparues à l’horizon. Une régate en plein désert ? J’avançais en me frottant les yeux vers ces voiliers de plus en plus distincts. Une heure plus tard, je tombai nez à nez avec une série de tranchées régulières, creusées en pente pour abriter les tanks, canon vers le haut. Et le blanc de la terre remuée, contrastant avec le sable terreux, m’avait offert une course de voiliers qui cinglaient entre les dunes ! Ici la route est belle sur la crête des dunes, entre les éboulis noirs rocheux des montagnes qui se désagrègent en blocs de quelques centaines de kilos ou de dizaines de tonnes, comme des tas de graviers posés là en attendant la construction d’une chaussée de géants. Belle mais dangereuse. D’abord, ne pas se perdre. Un fût vide, un piquet planté ou trois cailloux en pyramide marquent un redjem, un repère, tous les 20 kilomètres pour seul balisage. A ne pas manquer. Ne pas s’ensabler trop souvent non plus, surveiller le déboulé d’un chameau distrait ou apeuré et les plaques sombres du fech-fech, mélange de sable et d’argile, cauchemar des pistes, où l’on s’épuise à creuser sous les roues, à tôler le passage, à pousser, s’ensabler, recommencer. Parfois il suffit seulement d’endurer. Quand les vagues de la route, courtes et brutales - l’éprouvante « tôle ondulée » -, cassent les lames de suspension, les écrous des roues, les galeries, les tuyaux d’échappement et toutes les vertèbres de votre corps torturé. Ne pas se tromper et ne jamais croire qu’on est plus fort que le désert. En 4x4, il faut de l’essence, de l’eau, des dattes et de la chance. A pied, il faut de l’eau, des dattes et du courage. Ici, dans ce creux de dune, la carcasse bouffie d’un chameau démontre qu’il peut faire soif à en mourir. Même pour un homme d’expérience. Comme ce conducteur de 4x4 pris dans les sables boueux du col de Temet, qui aurait dû attendre un vaisseau de passage, accroché à son épave en pleine mer. Il a préféré partir, à pied, un jerrycan d’eau sur l’épaule. L’homme, solide, a marché 80 kilomètres dans la fournaise de septembre. Quand le jerrycan fut vide, le marcheur déshydraté et ses reins bloqués, le poison des toxines du sang a fait son effet. A 12 kilomètres d’Iférouane - du salut -, il s’est mis à délirer, a fait demi-tour et a marché quatre heures dans ses propres traces. On l’a retrouvé mort, appuyé sur l’oreiller brûlant d’une dune. Quand les Touareg se sentent perdus, ils préfèrent ôter leur chèche, relever leurs cheveux et poser leur front sur une pierre, nuque face au poignard du soleil, pour mourir plus vite. Pour se protéger des scorpions et du serpent cracheur, de son venin qui tue en quelques minutes, les hommes bleus emportent aussi des racines pilées de tekaraï et d’annakargis. Personne ici n’oublie - plus sûr encore - de se munir de colliers de gris-gris préparés par les marabouts, bourses de cuir contenant des sourates du Coran, une pour chaque danger. Ce matin avant l’aube, un Italien, africain chevronné, s’est réveillé en sursaut parce qu’il avait oublié ses gris-gris hier à l’étape. Trois heures après, il était de retour, son collier à la main. Quand je lui ai demandé pourquoi il avait délaissé les médailles de la vierge Marie pour ces bouts de cuir maraboutés, il m’a répondu : « C’est plus efficace. » Les hommes d’ici sont rudes et chaleureux, capables d’être debout dès 4 heures du matin, de charger un véhicule à 5 heures, d’allumer leur première pipe à 6 heures et de rouler toute la journée sans ciller sur les cailloux pour vous déposer à l’heure prévue là où on vous attend. Ils sont parfois durs à en mourir mais ont les mains douces et la peau claire des Touareg blancs qui parlent le tamachek et mettent un point d’honneur à ne jamais travailler la terre. Ceux-là parlent peu, sans jamais élever la voix. Avec ce sentiment de suprématie sur les Noirs, leurs anciens esclaves, une arrogance tranquille, que les colons européens ont renforcée en avouant leur fascination pour les « hommes bleus ». Après les Berbères qui nous ont laissé leurs gravures rupestres dans les grottes, les tribus touareg ont investi l’Aïr, porte du fabuleux Soudan pour des pillards avides d’or, d’esclaves et d’ébène. Ils ont bousculé les populations noires haoussa, pris la forteresse noire de la montagne et lancé des raids dévastateurs dès le VIIIe siècle. En 1513, Léon l’Africain, pour la première fois, cite Agadez, fondée par cinq tribus. Agadez, entrepôt commercial et grenier fortifié ; Agadez, comme Agadir, qui signifie « le magasin ». Agadez, attaqué pendant l’hiver 1917 et assiégé pendant deux mois par Kaossen le guérillero, le Touareg aux grosses moustaches noires qui ne portait pas de voile. C’était au temps où les Touareg se ralliaient en masse à la secte de la Senoussia qui voulait - déjà - retrouver la pureté originaire de l’islam et se débarrasser des influences étrangères. Agadez, sauvé par une colonne française venue de Zinder, qui défait Kaossen et, en représailles, décapite les marabouts de la ville. Ce désert-là s’est toujours montré rebelle et les militaires noirs au pouvoir à Niamey, la capitale, ne l’ont pas oublié. Reste le souvenir bleu de Mano Dayak, « l’homme qui est né avec du sable dans les yeux », et sa tombe, au creux d’une piste de montagne, rocailleuse et trop courte, d’où il avait voulu une nouvelle fois décoller au-dessus de l’Aïr. Aujourd’hui, deux ministres touareg participent au gouvernement et les anciens insurgés guident les chameaux des touristes vers le Ténéré. La rébellion des hommes bleus semble apaisée. Ou peut-être simplement assoupie.
6. Le désert Blanc et l’oasis de Bahariya Egypte Il a neigé sur la lune. Ou plutôt dans le désert. Tout est blanc au réveil. Tout est toujours blanc ici. Le sable est poussière de talc, les pitons sont des pains de sucre, les pierres de gros morceaux de craie qui dessinent de grandes lignes sur l’ardoise du désert. Je marche en soulevant de petites volutes de lumineuse poussière, escalade un rocher en assurant mes prises et détache un morceau de montagne à la main. Le désert est d’un calcaire si blanc, si tendre, si friable qu’il poudre le décor sur des dizaines de kilomètres alentour. Et le vent sculpteur, charriant avec lui les pointes de silice de dunes lointaines, frappe les montagnes crayeuses, leurs pitons fragiles, offerts à tous les caprices de l’air et de l’artiste. Il dessine un champignon, un corps, une canine, un rocher à visage humain, regard tourmenté ou bouche frondeuse. Sculptures éphémères, vite réalisées en quelques dizaines d’années, vite disparues quand les angles s’émoussent, quand les socles se minent et s’effondrent dans un énorme nuage de talc, une tempête de neige, le souffle blanc du Sahara Al-Beïdane. Plus loin est Aïn-Khadra, la « source magique », un oglat caché sous plusieurs mètres d’épaisseur de palme, qui ne coule que si un homme s’en approche. Plantez un bâton au fond de l’eau, éloignez-vous et le niveau ne change pas. Revenez, attendez un peu et voilà l’eau qui afflue. D’ici à la Libye les Romains avaient trouvé cinq sources, toutes magiques, eau dans le désert au service des hommes. Le soir, au crépuscule, le désert Blanc devient d’abord onctueux, puis rose et aussi pourpre que le soleil qui s’abîme à l’horizon soudain ourlé de bleu, de mauve et d’un gris perle d’une douceur infinie. Je connaissais déjà l’épaisseur de la dune, moelleuse comme une couette ; il y a maintenant cette blancheur de drap frais dans lequel il fait bon s’enrouler pour dormir. Cette nuit, j’ai fait une rencontre avec un renard des sables. Près du feu de bois, un verre de thé brûlant à la main, j’ai vu une ombre sous la lune. Il a tourné un peu puis s’est approché vers le reste de la gamelle de pâtes, à moins de deux mètres. Il avait faim. Il est resté là, presque aussi grand qu’un chacal du désert, des oreilles démesurées, le nez fin, des yeux très noirs, brillants, malins, une volumineuse queue en panache, une grâce superbe. Il a hésité longuement, le nez vers la gamelle, mais une patte levée, prêt à se sauver, entre la faim qui lui tenaillait le ventre et la tentation de la fuite dans le désert. J’ai posé une gourmandise sur le sol, une tomate fraîche. Il l’a croquée pendant notre sommeil et emporté, au passage, une paire de sandales qui traînait près du feu. On est reparti pieds nus vers l’oasis de Bahariya. Après tant de désert blond, roux, brûlé, planté de pierres, de pics, doigts de géants dressés vers le ciel, vagues d’un majestueux océan à sec, après tant de sel, de soif, d’économie de soi, voici l’oasis. C’est une débauche de vert, de luxe, de jardins humides où courent des rigoles fraîches. Et puis les hommes. Pas le Touareg aperçu au loin qui s’approche au rythme de son chameau, donne le temps de le découvrir, de l’observer, de l’apprivoiser, avant les longs « Salam aleikum ! », la poignée de main du bout des doigts, rapide, fugitive comme un souffle d’air. Non. Les hommes. Serrés dans les rues encombrées, bordées de murets de pierres basses. Une promiscuité oubliée. Dieu, que ton désert était doux ! Et puis il y a le monde d’en bas, celui des momies gréco-romaines retrouvées il y a deux ans à peine dans les tombes enfouies autour de l’oasis. On descend par un trou profond de 12 mètres, par un escalier pentu comme une échelle. Au fond, il faut se baisser pour un premier passage vers la salle des piliers. On se relève face à Osiris, Isis, Anubis et Horus peints sur le mur d’en face. Se baisser encore pour pénétrer dans une niche de quelques mètres carrés avec deux énormes pierres tombales, rebondies et grossières, les fosses où dormaient les momies vieilles de cinq cents ans avant Jésus-Christ. Les archéologues en ont exhumé une centaine, il en resterait 10 000 à Bahariya. Cinq d’entre elles sont là, dans leur cercueil de verre, immobiles depuis plus de deux mille ans, momifiées, chair et bandelettes coagulées en un seul bloc noirâtre, flanqué de hiéroglyphes qui disent le nom de Jit-Amon, un bout d’histoire de leur vie. Sur le visage recouvert d’un masque d’or, l’artiste a dessiné de grands yeux ouverts, l’air très étonné. Imaginez leur surprise, on avait dit aux futures momies qu’elles se réveilleraient pour la résurrection dans le monde des dieux d’Egypte et elles se retrouvent étiquetées dans un cercueil de verre face au visage pâle d’un voyageur tout à fait commun.
7. Quseir : le dernier port de la mer Rouge Egypte A première vue, Quseir n’est qu’une ville bazar qui se meurt au bord de la mer Rouge depuis que le canal de Suez, en 1869, lui a ôté la vie. Il ne reste plus rien de Tjau, la Quseir des pharaons, grand port stratégiquement situé au débouché de la vallée du Nil d’où la grande Hatshepsout envoyait des expéditions vers le pays de Pnout - la Somalie -, qui revenaient avec des bateaux chargés d’encens, d’ivoire, d’ébène et d’animaux inconnus. Quseir - en arabe, le « raccourci » - était le chemin ouvert entre la civilisation du Nil et les marchandises d’Arabie, d’Afrique de l’Est et de l’Inde fabuleuse. Aujourd’hui, le port est devenu inutile, envasé, encombré des restes de ferraille de téléphérique qui courait sur la mer pour transporter le phosphate de la mine italienne vers les cales des bateaux. On entre dans une ville sale, déliquescente, aux murs de boue démolis par les dernières pluies, des étals de légumes entre deux terrains vagues, et une population qui erre, indolente, démarche lente comme un dernier élan du passé. Puis, lentement, la magie opère. D’abord, cette petite rue minuscule qui offre une arcade de pierre, une maison ocre rouge, un mur jaune paille doré et une fenêtre au grillage délicat. La suivante, plus étroite encore, vous fait passer sous un pont de bois entre deux maisons, histoire de protéger la circulation des femmes du regard de l’étranger. On se laisse prendre à ce labyrinthe, entre des portes ouvragées, des moucharabiehs anciens, à ces jeux d’ombre et de lumière, à cette architecture délicate au charme puissant. Et on commence à découvrir Quseir et sa beauté forte de reine en guenilles. Ici, le fort ottoman du XVIe siècle, ses murailles et ses canons, remodelé par Napoléon en 1799 quand les Français ont disputé pendant deux ans ce verrou de la mer Rouge à l’ennemi anglais. Là, l’écurie capable d’accueillir des centaines de chameaux chargés de trésors, la sellerie où tout était parfaitement rangé, la citerne souterraine reliée à la ville, la mosquée des origines, sans minaret, l’église construite par les Italiens en forme d’arche de Noé, le bâtiment des douanes du sultan ottoman, le bâtiment de la quarantaine, fenêtres scellées par des madriers mais porte d’entrée à trois arches, élégante, comme pour s’excuser de retenir le voyageur malade. On marche entre des murs décorés avec les images d’un homme en prière, de la Kaba - qui renferme la Pierre noire de La Mecque - et d’un gros bateau ou d’un avion à réaction, selon le moyen utilisé par l’habitant pour aller faire son pèlerinage. Quseir est toujours le plus court chemin pour aller à Djedda, puis gagner La Mecque et le paradis. Ici, tout le monde est hadj, on compte 25 mosquées pour 25 000 habitants, mais l’islam est tranquille, paisible, souriant au coin des ruelles qui offrent karkadé, thé et café au voyageur, en souvenir du temps où la ville prospérait en s’ouvrant au monde entier. Et on se prend d’amour pour cette belle pieuse et cultivée, Quseir, cité forte où l’on marche, pieds nus, sur une quarantaine de siècles de mémoire. Où tout vous conduit à nouveau vers la mer Rouge. Derrière, revoilà les dunes. Oh ! un peu vieillies, certes, montagneuses, un peu racornies, fatiguées par cette traversée de tout le désert d’Afrique. Mais toujours aussi belles, crémeuses à l’aube, brunes au soleil de midi, ocre rouge et mauves à la fin du jour et du voyage. Arrivées enfin au bord de l’eau salée, les dunes du désert s’adoucissent, plongent et redeviennent vagues de la mer. Comme une renaissance.
Jean-Paul Mari
1er février 2001
Par Jean-Paul Mari
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DESERTS

Grands Reporters - Chroniques Sahariennes
NIGER
Déserts
" Habité par une nostalgie sans doute irréparable, je chercherai toujours à capter la beauté, ou plutôt le souvenir de la beauté du Sahara, de ce paradis d’enfance désormais interdit. Ce monde est le mien depuis toujours... " Jean-Luc Manaud est enfant du désert. Né dans le Sud tunisien où il a vécu jusqu’à l’âge de quatorze ans, le Sahara est pour lui une sorte de langue maternelle. Photoreporter depuis 1977, il a parcouru le monde, mais sa terre de prédilection est toujours restée le désert qu’il photographie depuis avec un amour et un talent reconnu et couronné par de nombreuses expositions, publications et ouvrages. De la Mauritanie en passant par le Niger, le Mali, le Sud algérien, le Tchad et le Sahara occidental, il nous livre à travers ses photos, ses polaroïds, ses carnets de voyages et ses souvenirs mis en musique par Pierre Guicheney, trente ans de regard, de rencontres et de passion pour cette terre.
Jean-Luc Manaud est photo reporter depuis 1977, il a couvert de nombreux conflits à travers le monde. Il parcourt depuis vingt ans tous les paysages du Sahara, du Ténéré à la Mauritanie. Ses photos sont régulièrement exposées et publiées dans les plus grands magazines en France et à l’étranger (Géo, Figaro Magazine, VSD, etc.). Il a déjà publié Le Désert nu, un marcheur au Sahara (2000), Lumières de désert (2002), Instants du désert (2002), et Isabelle Eberhardt et le rêve du désert (2004) aux Editions du Chêne ainsi que La Caravane de sel (Hoëbeke, 2002), Mali : magie d’un fleuve aux confins du désert (Olizane, 2005) et Tombouctou : réalité d’un mythe (Arthaud, 2006). Jean-Luc Manaud fait partie de l’agence Rapho. Pierre Guicheney est grand reporter pour le magazine Géo depuis 1995. Il a déjà publié plusieurs ouvrages dont A la folie, avec la photographe Marie-Paule Nègre (Siloë, 2002), La Caravane de sel, avec le photographe Jean-Luc Manaud (Hoëbeke, 2002), Paris : la balade des clochers avec le photographe Michel Setboun (Hermé, 2004) et Hier, nos campagnes (Aubanel, 2005). Il est également réalisateur de documentaires.
" Habité par une nostalgie sans doute irréparable, je chercherai toujours à capter la beauté, ou plutôt le souvenir de la beauté du Sahara, de ce paradis d’enfance désormais interdit. Ce monde est le mien depuis toujours... " Jean-Luc Manaud est enfant du désert. Né dans le Sud tunisien où il a vécu jusqu’à l’âge de quatorze ans, le Sahara est pour lui une sorte de langue maternelle. Photoreporter depuis 1977, il a parcouru le monde, mais sa terre de prédilection est toujours restée le désert qu’il photographie depuis avec un amour et un talent reconnu et couronné par de nombreuses expositions, publications et ouvrages. De la Mauritanie en passant par le Niger, le Mali, le Sud algérien, le Tchad et le Sahara occidental, il nous livre à travers ses photos, ses polaroïds, ses carnets de voyages et ses souvenirs mis en musique par Pierre Guicheney, trente ans de regard, de rencontres et de passion pour cette terre.
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Par Jean-Luc Manaud
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La face sombre des maîtresdu désert

La face sombre des maîtres du désert

Traditionnellement, les Tamasheqs noirs du Mali sont soumis aux «peaux claires».
De notre correspondant à Bamako Célian Macé
QUOTIDIEN : vendredi 27 juin 2008
Il y a le mythe du Touareg façonné par le tourisme. Ce grand homme bleu enturbanné, au teint clair, au regard perçant, solitaire. Et puis il y a l’envers de la carte postale. Le Touareg dont on ne parle pas : le Tamasheq noir. Dans le nord du Mali, on emploie plus volontiers le terme historique de «Tamasheq» que celui, touristique, de «Touareg». L’ethnie voisine Songhaï utilise le mot «bella» - qui signifie «esclave» - pour désigner les Tamasheqs noirs. Ils constituent la grande majorité de la population touareg. Mais au sein de cette société fortement hiérarchisée, ils ont longtemps été soumis aux «peaux claires».
Système hérité des razzias
Aujourd’hui encore au Mali, au Niger ou en Mauritanie, certaines fractions maintiennent un système d’esclavage traditionnel, héréditaire. Acquis au cours des razzias ou des échanges entre tribus, les esclaves transmettent leur condition à leurs descendants. Un enfant naît esclave et appartient à la famille du maître de sa mère. «Ma propre mère a été achetée» , déclare Idar Ag Ogazid, qui a fui à pied la famille des ses maîtres, à 150 kilomètres de Gao, dans le nord-est du Mali, en mars dernier. «Depuis toujours, on m’a répété que je devais servir. Je n’ai rien connu d’autre.» Idar pense avoir plus de 32 ans. Il n’a aucun état civil et n’a jamais été recensé. Il n’existe pas pour l’Etat malien. «Là-bas, je faisais paître les troupeaux, j’allais tirer l’eau, je coupais le bois, je faisais le ménage… Comme tous mes frères. On me dit quelque chose, j’exécute.» Ce sont les coups qui l’ont décidé à partir. «On me battait, même les enfants du maître me battaient, et ils battaient mes enfants sous mes yeux.» Son maître l’a marié à une esclave de son propre frère «sur son dos», sans l’avis d’Idar ni celui de ses parents. Son fils lui a été retiré très tôt pour être donné à une autre branche de la famille du maître. «Je l’ai appelé Ahmed, mais c’était trop noble pour un esclave, mes maîtres ont rebaptisé mon fils d’un nom sans valeur. Le monde des maîtres est entièrement séparé de celui des esclaves, on ne mange pas la même chose, on ne dort pas au même endroit. » La force qui attache un esclave à son maître est autant physique que psychologique. Surtout dans les fractions maraboutiques, dotées d’un immense crédit religieux - et réputées pour la dureté de leur esclavage -, où l’on décrit la soumission comme une volonté divine. «On nous apprend que quitter son maître, c’est aller à l’encontre d’Allah, c’est-à-dire être maudit.»
Ce système est toutefois en régression. L’esclavage est aboli au Mali et des liens maître-esclave persistent aujourd’hui pour des «raisons pratiques». Le maire de Gao lui-même, Ali Alassane Touré, un Songhaï, confie que les anciens esclaves de sa famille sont aujourd’hui ses bergers. «Ils s’occupent de mon troupeau de 300 têtes. En échange, je leur amène chaque mois 100 kilos de mil et 100 kilos de riz, j’habille leur famille pour les fêtes et je leur donne une génisse chaque année. Ils disposent du lait de mes bêtes et s’en servent pour vendre du beurre.» Pas de salaire mais un échange libre et donc «très satisfaisant» , selon les Tamasheqs noirs libres du quartier Septième, à Gao.
En pleine ville, beaucoup vivent dans des huttes circulaires faites de nattes de paille. La plupart ont des frères ou des cousins en brousse qui subissent encore un esclavage dur. Autour du thé, les anecdotes sur les questions de mariage et d’héritage fusent. «Depuis que j’ai l’âge de porter le turban, je suis libre», explique In Doungou Ag Aalassane, 66 ans, en traçant des dessins dans le sable. «Mais quand mon fils est décédé en Côte-d’Ivoire, le maître de ma femme est venu récupérer tout son cheptel : ses chèvres, ses vaches, ses moutons, ses chameaux. Et il y a six mois, ma fille a été mariée sans mon avis par le même maître. » Hochements de tête tout autour de lui. Les biens des esclaves appartiennent d’abord à leurs maîtres. Aucune protestation ? «On en parle devant vous ou entre nous, mais s’il y avait un Tamasheq blanc ici, nos bouches ne pourraient pas s’ouvrir car ils possèdent des gris-gris très puissants», confie l’un deux.
Une fierté pour les maîtres
Les maîtres eux-mêmes ne nient pas la persistance de l’esclavage. Un riche imam arabe de Gao, Sidi Ahmed Ould El Moktar, raconte en riant derrière ses Ray-Ban que c’est même une question de fierté pour de nombreuses fractions, notamment dans les régions de Menaka et Ansongo. «Un esclave qui demande sa liberté, c’est une humiliation pour le maître. Les Tamasheqs noirs ne peuvent pas être indépendants, ils ont économiquement besoin de nous. Je connais des fractions où les maîtres ont tout pouvoir sur les femmes esclaves. Ils peuvent coucher avec elles s’ils en ont envie.» Depuis 2006, une association de 17 000 membres, Temedt, lutte contre ce système. « Contre les discriminations en général, précise Al Meimoun Ag Al Moustaf, directeur de l’urbanisme à Gao et responsable du mouvement. Dans la vie sociale ou politique, être Tamasheq noir, même libre, constitue une difficulté majeure.» Les autorités semblent fermer les yeux sur le sujet. «L’esclavage n’existe plus au Mali, ou peut-être au niveau des pratiques coutumières. Mais ça ne nous regarde pas», répète le chef de cabinet du gouverneur de Gao, Hamidou Traoré. Temedt n’a jamais vu ses actions en justice aboutir.
http://www.liberation.fr/culture/musique/335200.FR.php

France Info - Chroniques

Terrorisme : le Sahel, un nouvel Afghanistan ? France Info - Chroniques
Poussés hors du Maghreb par le succès de la coopération étroite entre les services de renseignements, les groupuscules terroristes semblent trouver refuge plus au Sud, au Sahel. Une zone que les services secrets n’ont pas encore réussi à mailler...

L’enquête de Franck Cognard (4'33")
Ils ne sont pas encore vraiment sur les dents, mais les services français de renseignement portent une attention de plus en plus soutenue à l’arc sub-saharien, qui va de la Mauritanie à la Somalie ( voir la carte ci-contre ). C’est en effet au Sahel, en particulier au Niger et au Mali, que le berceau du terrorisme islamiste semble trouver refuge.
Que ce soit au Maroc, en Algérie ou même en Libye, la collaboration très étroite entre les différents services de renseignement permet d’avoir à présent une connaissance très fine des réseaux terroristes implantés dans ces zones. Que l’un de ses membres bouge le petit doigt et tous les services sont mis au parfum, même si cela ne met pas à l’abri d’un acte isolé. Poussés hors du Maghreb, les mouvements djihadistes sont donc contraints d’émigrer plus au Sud. Et ils trouvent au Sahel une terre d’accueil idéale pour leurs bases arrière, à partir de laquelle ils peuvent mener des actions de terreur et se replier sans être inquiétés. Des zones de repli et d’approvisionnement "non contrôlées et incontrôlables", selon Anne Giudicelli, directrice du centre de renseignement Terrorisc, et qui pourraient devenir un jour des bases opérationnelles.

Anne Giudicelli, directrice du cabinet d’analyse Terrorisc (5'21")

Terrorisme et crime organisé
Cette zone n’est en effet pas à la pointe de la lutte contre la délinquance, les trafics en tous genres et, à fortiori, le terrorisme. Au Mali par exemple, les services travaillent sur des cartes de France datant de… 1952. Plus à l’Est, les succès récents enregistrés par les milices islamistes de Mogadiscio font de la Somalie une destination alternative pour les candidats à la guerre sainte, même si l’Afghanistan et le Pakistan ne sont pas tout à fait passés de mode.
Enfin, les organisations terroristes telles que le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat, transformé en branche d’Al Qaïda au Maghreb) profitent également sur place du développement récent du trafic de drogue et du crime organisé. Les mouvements de rébellion touaregs, animés par des populations particulièrement pauvres, ne rechignent pas à faire un peu de business avec les djihadistes. Trafic de cocaïne, d’êtres humains, d’arme… tout est bon pour faire de l’argent.

Jean Louis Bruguière, ancien magistrat antiterroriste, actuel représentant de l’Union Européenne auprès des USA (6'31")

Ce déplacement vers le Sahel de la menace terroriste est d’autant plus inquiétant que la France est une destination assez courue par les candidats à l’émigration des populations sub-sahariennes, en particulier maliennes. Un sommet sur la sécurité réunit dans quelques jours à Bamako (Mali) sept chefs d’Etats de la région.
Enquête et reportage : Franck Cognard Page web : Gilles Halais

Rapport du Département d'Etat américain
ONU, Comité contre le terrorisme
Programme anti-terroriste d'Interpol
Action de l'ONU contre le terrorisme

25 juin 2008

Festival au Desert 2008 | Music | guardian.co.uk

Video: Festival au Desert 2008 Music guardian.co.uk
Festival au Desert 2008
Guardian music journalist Rosie Swash travelled to one of the remotest festivals in the world to report on three days of Malian music and Touareg culture in the Sahara.

Tamikrest

Video: Desert Sessions: Tamikrest News guardian.co.uk
Desert Sessions: Tamikrest
Tamikrest is a group of young Touaregs based in Kidal, who are keen to make Tamasheq poetry and culture accessible to the rest of the world. They are often compared to the award-winning Tinariwen - judge for yourself

17 juin 2008

«La lutte contre la désertification ne concerne pas que les Africains»

«La lutte contre la désertification ne concerne pas que les Africains»
Luc Gnacadja, responsable auprès des Nations unies .
Le 17 juin a été décrétée journée mondiale de la désertification. A cette occasion, Luc Gnacadja, secrétaire exécutif de la convention de la désertification de l’ONU, explique comment il veut remédier à la sous-médiatisation dont souffre la question de la dégradation des sols.
La lutte contre le réchauffement a su faire parler d’elle. Pas celle contre la désertification. Pourquoi ?
Déjà parce que la convention de l’ONU consacrée à la lutte contre la désertification est née au forceps à Rio, en 1992. Voilà son mal originel : elle a toujours été l’objet d’un bras de fer entre les pays du Nord, qui poussaient les questions de changement climatique et de biodiversité, et ceux du Sud, qui tentaient d’axer les conférences internationales sur la désertification, comme si le sujet leur appartenait, comme si la désertification ne concernait qu’eux seuls.
Ça semble paradoxal : il a été plus facile pour l’atmosphère que pour le sol d’être considérée comme un bien public mondial ! La terre a une dimension patrimoniale, nationale et culturelle : la relation qu’on a avec elle n’est pas la même d’un pays à l’autre… d’où la difficulté à en faire un bien public mondial. Il faut voir le mal qu’ont eu les pays membres de l’Union européenne à se mettre d’accord sur leur directive sols (1) !
A la fin des années 90, on parlait beaucoup du problème de la biodiversité. Aujourd’hui, a lieu une énorme prise de conscience sur le réchauffement. L’agenda des terres, lui, n’a pas tant progressé depuis quinze ans. Dans les négociations internationales, la désertification est souvent prise comme une partie de l’aide au développement, comme si c’était le seul problème du Sud. Un exemple parlant : à Bruxelles, la lutte contre la désertification relève de l’Aide au développement, alors que le réchauffement et la biodiversité relèvent, eux, de l’Environnement.
Est-ce que ça peut changer ?
Oui, car les pays du Nord ont désormais compris qu’il n’était pas besoin d’avoir sur son territoire des déserts de dunes pour être victime de la désertification ! L’Espagne, l’Australie, les Etats-Unis, etc. sont désormais très touchés par la dégradation de leurs sols et l’épuisement des ressources. Lors de la conférence des parties de Madrid, une étape essentielle a été franchie : pour la première fois, les 192 pays membres de l’ONU ont adopté à l’unanimité une stratégie décennale.
Que prévoit cette stratégie ?
Nous devons montrer que la lutte contre ce fléau ne concerne pas seulement les Africains, elle peut avoir des bénéfices pour l’ensemble du globe : assurer la sécurité alimentaire par exemple. C’est une évidence quand on voit qu’au Darfour ou au Tchad des conflits éclatent notamment pour les ressources naturelles. La polémique autour des agrocarburants prouve aussi que la lutte contre les émissions de gaz à effets de serre ne peut être pensée indépendamment de l’appauvrissement des terres. Enfin lutter contre la dégradation des sols, c’est aussi lutter contre le réchauffement climatique. Les connaissances scientifiques actuelles - les conclusions du GIEC [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ndlr] sont claires à ce sujet - ont montré que la désertification exacerbe le réchauffement et que celui-ci exacerbe à son tour la désertification. C’est d’ailleurs ce qui a favorisé la prise de conscience des pays du Nord…
Qu’est ce qui vous manque pour provoquer une réelle prise de conscience ?
Déjà, des indicateurs : il faut savoir mieux mesurer ce problème pour lutter contre. Nous voulons monter un «GIEC des sols» d’ici à 2009, c’est-à-dire obtenir un accord des communautés scientifiques sur un même bilan.
Est-ce qu’il ne vous manquerait pas aussi un Nicolas Hulot ?
Je cherche en effet des personnalités de ce genre qui pourraient porter ce combat. Et si Nicolas Hulot veut embrasser totalement le combat pour l’environnement, il devrait plaider davantage en faveur de l’agenda des terres.
Et les financements ?
C’est le problème. Lors de la conférence de Madrid, la convention n’a pas réussi à accoucher d’un budget. Il a fallu organiser une conférence extraordinaire à New York, en novembre, pour obtenir un accord sur le budget qui ne comporte pas une ligne sur le financement de la stratégie. Il nous faut donc décrocher des fonds, des partenariats pour pouvoir faire vivre la Convention contre la désertification. Nous avons commencé à plaider auprès des parties, à Bruxelles, à Paris, où j’ai rencontré Jean-Louis Borloo. Jusqu’à présent j’ai rencontré des personnes attentives. J’attends désormais qu’elles nous aident à obtenir des financements.
(1) qui vise à lutter contre la dégradation des sols, à l’échelle européenne.
Recueilli par SONYA FAURE LIBERATION QUOTIDIEN : mardi 17 juin 2008

13 juin 2008

TEMOIGNAGE

SAHEL: En savoir plus sur la région la plus pauvre d’Afrique de l’Ouest
OUAGADOUGOU, 3 juin 2008 (IRIN) - Le sous-développement et les crises humanitaires dont souffre la région ouest-africaine du Sahel seront sur le devant de la scène cette semaine, au cours de laquelle Jan Egeland, conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies sur les conflits, se rendra au Burkina Faso, au Mali et au Niger pour attirer l’attention [de la communauté internationale] sur cette zone pauvre et sur les pressions sociales exercées dans cette région par le réchauffement climatique. Où se situe le Sahel ? Le Sahel (de l’arabe « sahel », qui signifie rivage), est une ceinture semi-aride de terres stériles, sablonneuses et jonchées de pierre, qui s’étend sur 3 860 kilomètres sur toute la largeur du continent africain et marque la séparation physique et culturelle entre la région sud du continent, plus fertile, et le désert du Sahara, au nord. La ceinture sahélienne, d’une superficie d’un peu plus de trois millions de kilomètres carrés, couvre, en largeur, entre plusieurs centaines et mille kilomètres. En Afrique de l’Ouest, le Sahel est également une entité géopolitique. En 1973, le Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS) a été créé par le Burkina Faso, le Cap Vert, le Tchad, la Gambie, la Guinée-Bissau, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Sénégal pour réunir des pays qui étaient alors en train de devenir interdépendants. Ensemble, les membres du CILSS couvrent 5,7 millions de kilomètres carrés de terres. On trouve également des terres et un climat semblables à ceux du Sahel dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, qui ne font pas partie du CILSS, particulièrement dans le nord du Togo, au Bénin, au Nigeria et au Ghana. Qui vit au Sahel ? Les pays du CILSS comptent à eux seuls environ 58 millions d’habitants, dont la plupart pratiquent l’agriculture de subsistance et partagent des cultures et des moyens de subsistance semblables, alors même que leurs religions, leurs langues et leurs coutumes varient énormément. Au Sahel, selon les estimations du CILSS, plus de la moitié de la population en âge de travailler pratique l’agriculture ou en vit, et assure plus de 40 pour cent du produit intérieur brut (PIB) total de la région. Les cultures sèches, telles que le millet, le sorgo et le haricot à œil noir, et les cultures de rente telles que l’arachide et le coton, sont les principales productions agricoles de la région. Au Sahel, la croissance démographique est particulièrement rapide. Selon le CILSS, la région comptera 100 millions d’habitants d’ici à l’an 2020 et 200 millions d’ici à 2050, soit près de quatre fois la population actuelle. Plus de la moitié des Sahéliens, soit 141 millions, vivront dans les trois pays visités par M. Egeland : le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Quelles conséquences aura le changement climatique dans la région ?
Le climat sahélien va-t-il devenir plus humide ou plus sec avec le changement climatique ? Les opinions des scientifiques divergent, mais dans les deux cas, l’avenir s’annonce peu brillant. Au Sahel, le climat oscille entre une extrême chaleur et des conditions plus tempérées, et la pluie ne tombe que quatre ou cinq mois par an, généralement entre mai et octobre, une période qui marque le début de la saison de croissance. Le reste de l’année, le paysage se compose de roches, de plaines de buissons sablonneux, d’herbe et d’arbres chétifs. Selon les scientifiques et les météorologues, pourtant, ces 40 dernières années ont été marquées par des écarts de plus en plus prononcés en matière de précipitations, d’une année sur l’autre, dans la région, le climat étant, certaines années, excessivement humide et d’autres années, trop sec pour permettre une production agricole suffisante. Déterminer si les schémas climatiques du Sahel sont provoqués par le réchauffement climatique ou s’ils sont le résultat de schémas de précipitations naturels et cycliques – et surtout si, d’une manière générale, les précipitations augmentent ou diminuent – est un sujet de discorde au sein de la communauté scientifique. Selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), la plupart des modèles climatiques réalisés pour le Sahel prédisent bel et bien des conditions climatiques plus sèches à l’avenir. Toujours d’après le PNUE, même si le climat sahélien devient au contraire plus humide, le réchauffement global de l’atmosphère provoquera l’évaporation d’un volume d’eau supérieur à celui des précipitations supplémentaires possibles pour la région, même si l’on se fie aux estimations des scientifiques les plus optimistes. De même, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), un organe scientifique de plus de 2 000 climatologues des quatre coins du monde, chargé d’évaluer le risque de changement climatique causé par l’activité humaine, a également conclu que le Sahel ouest-africain et l’Afrique centrale connaîtraient des hausses de température parmi les plus marquées du monde au cours des prochaines décennies. Mais les précipitations ne sont que l’une des raisons pour lesquelles le changement climatique est important au Sahel. Dans une région qui dépend en grande partie de l’agriculture, la qualité des sols est essentielle. La détérioration des terres, causée par la déforestation, le surpâturage, la cueillette continuelle, la désertification, et l’usage et la préservation des ressources actuelles en eau sont également des point cruciaux. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), plus de 80 pour cent des terres du Sahel ont été détériorées. Quelles conséquences d’un point de vue humanitaire ? Les changements, même mineurs, des conditions de croissance au Sahel ont une incidence majeure sur la nutrition et la sécurité alimentaire des populations.
Le Sahel affiche déjà des taux de malnutrition extrêmement élevés, même les années où les précipitations sont suffisantes ; dans la région, les enfants de moins de cinq ans sont les premières victimes de la faim et des maladies. Selon certaines études, citées par le PNUE, le Tchad et le Niger risquent de perdre la totalité de leur secteur agricole pluvial d’ici à 2100, tandis qu’au Mali, les récoltes de céréales risquent de diminuer de 30 pour cent en raison de l’évolution des schémas de précipitations et de la détérioration des terres. Mais la pluie est aussi problématique lorsqu’elle tombe que lorsqu’elle ne tombe pas. À l’heure actuelle, les précipitations annuelles sont souvent reçues sous la forme de violentes et brèves averses qui détruisent les cultures et les semences, et emportent même des villages entiers, comme ce fut le cas à travers le Sahel en 2007, mais surtout au Ghana, au Burkina Faso, au Mali, au Niger et au Tchad. À l’avenir, il est probable, selon les scientifiques, que la région devienne plus sujette aux inondations. Autre problème, d’ordre social : de plus en plus d’adultes en âge de travailler quittent les régions rurales pour s’installer dans les zones urbaines, notamment à Bamako au Mali, à Ouagadougou au Burkina Faso et à Dakar au Sénégal, une tendance qui pose de nouveaux problèmes en matière d’assainissement urbain, de sous-nutrition et de criminalité. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a également prévenu que la hausse des températures provoquerait davantage d’épidémies, notamment de fièvre dengue ou de choléra. Le GIEC prévoit en revanche que de vastes zones du Sahel ne seront plus propices à la transmission du paludisme d’ici à 2050, un point positif pour la région. À moyen-long terme, face à l’ampleur des problèmes climatiques annoncés au Sahel, conjugués à la croissance démographique galopante, observée dans la région, l’aide humanitaire ne permettra plus à elle seule de pourvoir aux besoins des populations touchées, notamment parce qu’il est probable que le Sahel doive lutter pour obtenir des fonds d’urgence, face à des catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes, provoquées par le climat à travers l’Afrique et l’Asie. En 2007, le Programme des Nations Unies pour le développement a sollicité les bailleurs de fonds des pays développés –qui, selon l’agence, ont concentré leurs efforts sur les projets d’atténuation du changement climatique au lieu d’aider les pays déjà touchés par ce phénomène- à hauteur de 85 milliards de dollars, destinés à financer des projets d’adaptation au climat dans les pays en voie de développement. nr/ed/nh/ail
Thèmes: (IRIN) Environnement, (IRIN) Catastrophes naturelles

TEMOIGNAGE

SAHEL: Journal du changement climatique au Sahel – 1er jour
OUAGADOUGOU, 3 juin 2008 (IRIN) - Jan Egeland, conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies sur les conflits, se déplace dans le Sahel cette semaine pour attirer l’attention de la communauté internationale sur la région du monde qui, selon les Nations Unies, subit les conséquences les plus lourdes du changement climatique. M. Egeland livre à IRIN ses impressions dans un journal dont voici les premières lignes, écrites le 2 juin de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. « Un débat très académique est en cours actuellement en Europe : on se demande encore si "le climat est déjà en train de changer" et si "le changement climatique est visible aujourd’hui". Ici, au Burkina Faso, ce débat n’a pas lieu, parce
Photo: Tugela Ridley/IRIN Jan Egeland, conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies sur les conflits
que les conséquences parlent déjà d’elles-mêmes ». « Bien que nous ayons passé la journée [du 2 juin] à rencontrer les représentants du gouvernement et le personnel des Nations Unies, cela m’a ouvert les yeux, surtout les discussions que j’ai eues avec les ministres de l’Agriculture et de l’Environnement. Tous ceux que j’ai rencontrés m’ont donné une kyrielle d’exemples de la manière dont tout ce qui a à voir avec le climat et les précipitations au Burkina Faso a atteint des extrêmes ces 10 dernières années ». « Le changement climatique au Burkina Faso ne se traduit pas par une réduction des précipitations, mais par leur plus grande imprévisibilité. Et le climat général est devenu bien plus extrême dans sa manière de se manifester : la chaleur, le froid, les hauts et les bas en matière de précipitations ». « Les populations ne peuvent pas prédire quand la pluie va tomber. Et quand elle tombe, il pleut des cordes. L’année passée, le Burkina Faso a enregistré huit précipitations de plus de 150 millimètres : cela veut dire qu’il y a eu huit inondations dévastatrices dans une période de quatre mois ». « L’alternative aux inondations est, en fait, une absence de précipitations : c’est tout ou rien, et dans tous les cas, cela se traduit par une crise, de façon complètement imprévisible, pour des populations qui comptent parmi les plus pauvres du monde ». « J’ai appris aujourd’hui que dans des régions où il ne pleuvait auparavant jamais, les populations enterraient leur argent dans la terre pour le conserver, n’ayant pas accès aux banques. Or, l’année dernière, lorsque des pluies torrentielles se sont abattues sur certaines de ces régions, la terre s’est transformée en bourbier et l’argent [enterré] a été emporté par les eaux de crue, avec les maisons des habitants et le reste de leurs biens ». « [Cette anecdote] est un bon exemple de la bizarrerie des nouvelles réalités auxquelles les populations de ce pays se trouvent confrontées à mesure qu’elles se trouvent aux prises avec des conditions climatiques qu’elles n’avaient jamais connues jusqu’ici ». « Une autre retombée importante concerne l’agriculture, bien sûr. Les habitants plantent au moment où la pluie doit commencer à tomber, et puis, rien ne tombe, ou bien les pluies sont très peu abondantes, alors les pousses finissent par se dessécher et mourir. Et puis soudain, de violentes averses s’abattent, qui provoquent une inondation et tout est emporté par les eaux ». « Ce qui m’a également ouvert les yeux, aujourd’hui, ç’a été de prendre connaissance des statistiques qui m’ont été présentées par le gouvernement, et selon lesquelles le Burkinabè moyen émet 0,38 tonne de CO² par an. Le Chinois moyen en émet 10 fois plus, un Britannique 30 fois plus et les Américains 75 fois plus par habitant ». « Et de découvrir que le Burkina Faso émet en tout 4,5 millions de tonnes de CO² par an, tandis que le Canada en déverse 747 millions de tonnes, pour une population à peu près équivalente ». « Cela illustre un problème moral important : ceux qui ne contribuent pas au réchauffement climatique font les frais des changements que ce phénomène engendre, tandis que ceux qui l’ont causé s’en sortent bien. En d’autres termes, les pays du nord commettent des meurtres en toute impunité ». « La situation est-elle désespérée ? Absolument pas. Les membres du gouvernement et des Nations Unies que j’ai rencontrés ici aujourd’hui m’ont fait clairement comprendre que le Burkina Faso avait besoin d’investissements. Le pays pourrait produire bien plus de vivres, s’il recevait de l’aide sous forme de semences, d’engrais et de systèmes d’irrigation plus performants, en plus grande quantité ». « Le ministre des Affaires étrangères a expliqué que le pays avait également besoin d’aide en matière de production d’énergie et de reforestation. Je vais m’efforcer de trouver, dans les prochains jours, des exemples concrets de solutions possibles ». « Malheureusement, ce qu’on m’a fait remarquer à juste titre, c’est qu’à ce jour, les palabres sont allés bon train sur l’aide à apporter aux pays en voie de développement pour leur permettre de faire face au changement climatique, mais que ces paroles ne se sont guère traduites en actes ». « [Les gens] sont désillusionnés, et c’est vraiment honteux, parce qu’ils n’ont rien fait pour se mettre dans une telle situation, et nous qui avons causé ce problème en ignorons les conséquences parce qu’elles ne nous concernent pas ». « Demain [le 3 juin], nous poursuivons notre voyage au Mali, où d’autres rencontres sont prévues à Bamako, avant de nous rendre à Faguibine, un lac asséché situé près de Tombouctou, où il sera intéressant d’observer le changement climatique par nous-mêmes ». nr/vj/nh/ail
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TEMOIGNAGE

SAHEL: Journal du changement climatique au Sahel – 2ème jour
Jan Egeland, conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies sur les conflitsBAMAKO, 4 juin 2008 (IRIN) - Jan Egeland, conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies sur les conflits, se déplace dans le Sahel cette semaine pour attirer l’attention de la communauté internationale sur la région du monde qui, selon les Nations
Unies, subit les conséquences les plus lourdes du changement climatique. Chaque jour, M. Egeland livre à IRIN ses pensées et ses expériences dans un journal dont voici le deuxième volet, rédigé cette fois depuis Bamako, la capitale du Mali. « Trop de Maliens ont recours aux armes pour résoudre leurs griefs, à mesure que la croissance démographique galopante, l’épuisement progressif des ressources en eau et la détérioration des terres agricoles et pastorales transforment les voisins en ennemis à travers les Photo: IRIN
vastes régions de cette vieille contrée ». « Selon mes collègues des Nations Unies qui se trouvent ici, à Bamako, la capitale, des centaines de petits conflits, relativement localisés, font rage à travers le Mali ». « Et les représentants du service des armes légères de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) m’ont dit que des armes affluaient actuellement ici ; elles proviennent de plusieurs autres pays de la région, qui ont mis fin dernièrement à leurs propres guerres. Selon la CEDEAO, le nombre des fabricants d’armes locaux a également doublé ces quatre ou cinq dernières années au Mali ». « Ce fut d’ailleurs une révélation assez émotionnelle, pour moi. La dernière fois que j’ai travaillé au Mali, c’était il y a 10 ans, pour le compte des ONG [organisations non-gouvernementales] et du gouvernement norvégiens ; j’avais participé à la négociation d’un moratoire sur les armes légères. À l’époque, la rébellion des Touaregs du nord venait de s’achever et le Mali était encore inondé d’armes légères, qui avaient afflué dans le pays après la fin d’autres conflits africains et de la Guerre froide ». « Aujourd’hui, les institutions que nous avions créées pour appliquer le moratoire et retirer ces armes de la circulation, notamment la Commission nationale sur les armes légères, existent encore mais elles se débattent avec des fonds et un soutien qui sont loin d’être suffisants. Ces institutions et ce moratoire sont tout aussi essentiels aujourd’hui qu’ils l’étaient il y a 10 ans ».
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Journal du changement climatique au Sahel – 1er jour
En savoir plus sur le Sahel, région la plus pauvre d’Afrique de l’Ouest« Mais pour mettre un terme à ces affrontements, actuellement limités et isolés, il ne suffira pas de retirer ces armes des mains du peuple ». Le changement climatique, source de conflits « J’ai entendu aujourd’hui [le 3 juin] le président Amadou Toumani Touré, le Premier ministre ainsi que d’autres hauts responsables, dont les propos rejoignent ceux que j’ai entendus hier au Burkina Faso –pays voisin, situé à l’est du Mali et où j’ai commencé cette tournée d’une semaine dans le Sahel. Ils m’ont parlé de la diminution et de l’imprévisibilité des précipitations, des pénuries d’eau et de l’avancée progressive du désert du Sahara sur les terres arables du Mali et le fleuve Niger, autant de facteurs qui contraignent les communautés agricoles et pastorales à empiéter sur leurs territoires respectifs et provoquent des affrontements fréquents ». « Les éleveurs du nord du Mali, où je me rends demain, se sentent apparemment très en marge, eux aussi, du processus de développement en cours dans le sud du pays, une autre source de tension. Dans cette région, certains membres de l’ethnie des Touaregs ont lancé une rébellion, revendiquant l’égalité politique et économique du nord ». « De même, nous avons évoqué les souffrances des Maliens face à la hausse du prix du riz, et la production de coton, principale culture de rente du pays, décimée par des pluies imprévisibles ». Les trafiquants de drogue colombiens
« Il semble que les trafiquants de drogue colombiens, qui disposent de fonds illimités pour soudoyer [les populations], payent et se battent pour obtenir le contrôle des itinéraires transsahariens qui leur permettent d’acheminer leurs drogues vers l’Europe et jusqu’au Golfe. Ils sapent [l’autorité du] gouvernement et font régner l’insécurité dans une bonne partie du pays. Je connais, pour avoir travaillé en Colombie, les troubles causés par ces gangs, et je sais combien il est difficile de les déloger une fois qu’ils se sont établis quelque part ». « Tout ce que j’ai vu et entendu au Mali a confirmé l’impression que j’avais déjà, à savoir qu’on ignore encore s’il y aura davantage de coopération ou davantage de conflits au Sahel. Nous pouvons contribuer à investir dans la coopération ». « Il y a des gens, ici, qui préconisent un recours à l’armée pour mettre fin aux rébellions, aux attaques armées et à la contrebande. L’armée est certainement une solution contre la contrebande et le trafic de drogue, mais les griefs sociaux, politiques et culturels légitimes ne peuvent être réglés de cette façon. C’est par les investissements, le développement et le dialogue qu’on parviendra à les résoudre ». Soutien des bailleurs et des Nations Unies « Je vais par conséquent encourager les bailleurs, qui ont déjà soutenu un grand nombre de bons programmes, ici, à Bamako, à consacrer des fonds bien plus importants au financement des programmes environnementaux et aux projets destinés à aider et à autonomiser les éleveurs, surtout. Ils doivent également soutenir les programmes de retrait des armes légères ». « Nous avons également convenu que les Nations Unies pourraient et devraient en faire davantage pour favoriser la réconciliation au plan local, le développement local et l’autonomisation des agriculteurs et des communautés agricoles du nord, ainsi que des éleveurs ». « La situation est déjà très tendue. Mais nous pouvons prévenir un conflit plus grave en injectant les investissements nécessaires et en coopérant. Le président du Mali a pris une position tout à fait admirable en faveur d’un dialogue avec toutes les communautés marginalisées. Avec les voisins du Mali, il organise actuellement une conférence régionale sur la paix et la sécurité qui devrait commencer en juin ou en juillet, semble-t-il ». « À présent, cap sur Tombouctou, cette cité ancestrale où se trouve le lac Faguibine ; au lac, je pourrai constater par moi-même l’impact du changement climatique et, je l’espère, imaginer des solutions créatives pour y faire face ». nr/vj/ed/nh/ail
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Journal du changement climatique au Sahel – 3ème jour Early Warning Environment Natural Disasters News Item
Au marché de Dire, petite localité située sur les rives du Niger, à l'ouest de Tombouctou, au MaliTOMBOUCTOU, 5 juin 2008 (IRIN) - Jan Egeland, conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies sur les conflits, se déplace dans le Sahel cette semaine pour attirer l’attention de la communauté internationale sur la région du monde qui, selon les Nations Unies, subit les conséquences les plus lourdes du changement climatique. Chaque jour, M. Egeland livre à IRIN ses pensées et ses expériences dans un journal dont voici le troisième volet, rédigé cette fois depuis Tombouctou dans le nord du Mali. « Il y a tellement de sceptiques du climat dans le monde, et moi-même j’en faisais plus ou
moins partie, dans le sens où je n’en voyais pas déjà la
preuve lorsque j’ai commencé ce voyage. Mais je pense Photo:Tugela Ridley/IRIN
qu’après ce que j’ai vu aujourd’hui, je suis sans aucun doute en train de changer d’avis ». « La journée a été longue : elle a commencé avec la sonnerie du téléphone, à 5 h 15 du matin dans mon hôtel, à Tombouctou, dans le nord du Mali, et déjà, il faisait bien plus de 30 degrés dehors ». « Une fois de plus, nous avons grimpé dans un convoi bien trop long, mais cette fois, pour la bonne cause : tous les parlementaires locaux, les autorités locales et les représentants des communautés nomades ont voulu se joindre à nous sur notre route vers les communautés qui vivent au cœur de la région du lac Faguibine, un des principaux symboles du changement climatique au Sahel ». Le lac Faguibine « On a dû s’arrêter peut-être 10 fois en chemin vers le lac. Le fleuve Niger lui-même est moins profond [qu’il ne l’était auparavant] et n’alimente donc plus les anciens cours d’eau navigables ; c’est pourquoi une bonne partie de la région antique de Tombouctou est aujourd’hui complètement asséchée, jusqu’à l’immense lac Faguibine compris ». « Nous avons vu des travailleurs qui s’efforçaient de creuser un nouveau canal, là où passaient auparavant les eaux du fleuve Niger, aujourd’hui évaporées en raison d’un ensemble de facteurs : changement climatique, détérioration de l’environnement et désertification ».
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Journal du changement climatique - 1er jour
En savoir plus sur le Sahel, région la plus pauvre d'Afrique de l'Ouest« C’était émouvant de rencontrer tellement de gens, qui ont tous dit “c’est une lutte entre la vie et la mort pour nous”, et de voir combien les gens sont certains qu’avec juste des sources d’eau fiables, cette région brûlée par le soleil pourrait redevenir le grenier du Mali. Sur le lit des anciens lacs, ils mènent encore beaucoup d’activités agricoles, mais bien entendu, ce n’est qu’une question de temps avant que tout s’assèche, et puis ce sera la fin pour toutes les sociétés nomades et pastorales de la région ». « Lorsque nous sommes arrivés au lac Faguibine, il y avait une grande réunion, qui rassemblait tous les chefs communautaires. L’un d’entre eux m’a lancé un vibrant appel, dont je me souviendrai toujours. Il m’a dit : “Je suis orphelin de ce lac mort parce que j’ai vécu et me suis épanoui sur ses rives lorsque c’était encore un endroit merveilleux pour les pêcheurs, les agriculteurs et les éleveurs”. Il s’est avéré que cette personne était l’un des premiers Touaregs de la région ». « Ce qui s’est passé ici revient en fait, en termes d’échelle, à voir le Lake District, en Angleterre, s’assécher au bout de quelques siècles ; à ceci près qu’au Mali, des centaines de milliers de personnes dépendent des lacs pour vivre ». Retourner la situation « Mais que faudrait-il pour retourner la situation ? Pas grand-chose ! Avec juste quelques machines, ils creusent déjà chaque année des kilomètres de nouveau canal, et plusieurs villages ont de nouveau de l’eau, au moins deux ou trois mois par an. Le Programme alimentaire mondial a contribué au prolongement du canal, grâce à ses programmes travail contre nourriture, par le biais desquels des hommes, qui seraient autrement au chômage, peuvent travailler à la construction du canal et planter des arbres en échange de rations alimentaires ». « Le gouvernement allemand soutient ce projet, mais peu d’autres bailleurs de fonds internationaux le font. Or, sans nouvelles ressources, le projet de restauration du lac Faguibine ne pourra se poursuivre au-delà de quelques mois. Aujourd’hui, le message s’adresse en fait [aux leaders du] sommet de Copenhague, qui se tiendra à la fin de l’année ». « Lorsque tous les leaders du monde seront là, nous devrons [leur] demander s’il convient réellement de laisser des projets vitaux comme celui-ci, qui sont directement liés au changement climatique, manquer de financement. Ce serait vraiment un échec moral si les projets qui existent déjà dans le domaine de l’aide aux populations touchées par le changement climatique n’étaient pas financés par les pays industrialisés qui sont responsables de ce phénomène ! ». « En tout, nous avons roulé de six heures du matin à six heures du soir, avec plus d’une dizaine de réunions et d’arrêts. Ce soir, nous reprenons l’avion pour retourner à Bamako, avant de nous rendre au Niger, demain matin, où nous rencontrerons le Président. Enfin, nous irons voir un autre lac desséché : le lac Tchad ». nr/vj/ed/nh/ail
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10 juin 2008

INONDATIONS ET CRIQUETS AU SAHEL

Saison agricole 2008 le CILSS prévoit des inondations et des risques d'invasion acridienne
Le Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS) a organisé le 6 juin 2008 à Niamey au Niger, une conférence de presse sur les prévisions pluviométriques et des débits des grands fleuves d'Afrique de l'Ouest. Il s'est agi, en cette veille de saison agricole, de donner aux décideurs et autres acteurs du monde agricole des informations utiles en vue d'une gestion efficiente de la saison naissante.
Disposer d'informations prévisionnelles sur la pluviométrie à la veille d'une saison agricole est une précaution stratégique d'importance pour une bonne gestion de cette saison. C'est pourquoi, chaque année, en début de saison hivernale, le CILSS s'évertue , au moyen des prévisions saisonnières des pluies et des débits des fleuves en Afrique de l'Ouest (PRESAO), à mettre à la disposition des décideurs, ainsi que de l'ensemble des acteurs du monde agricole les informations prévisionnelles sur l'état probable de la pluviométrie au cours de la future saison. Cela a pour avantage, dit-on, d'informer à temps et de permettre aux uns et aux autres de prendre les dispositions utiles pour une gestion efficiente de la saison.
Cette année encore, sacrifiant au rite, l'institution a convié la presse, le 6 juin 2008 au Centre régional AGRHYMET (institution spécialisée du CILSS) de Niamey en vue d'une vulgarisation de ces prévisions pour la saison 2008. Il ressort de ces prévisions que la saison pluvieuse aura une tendance normale à très excédentaire en Afrique de l'Ouest en général, et excédentaire à très excédentaire dans les pays du CILSS. L'exercice consiste, selon le directeur général du centre AGRHYMET, Mohamed Yahya Ould Mohamed Mahmoud, à l'aide de modèles statistiques et de modèles de circulation générale de l'atmosphère, à donner une appréciation qualitative et probabiliste des cumuls pluviométriques sur la période de juillet à septembre et des débits pour les périodes de hautes eaux des grands fleuves de la sous-région par rapport à la moyenne trentenaire de 1961 à 1990. "Pour l'instant, a-t-il précisé, la prévision ne concerne ni les dates de début, ni les dates de fin de saison, ni non plus la répartition temporelle des pluies pendant l'hivernage".

Le Burkina dans la zone très excédentaire
Les zones prévues excédentaires et très excédentaires sont celles où le cumul pluviométrique de la période juillet-août-septembre sera supérieur à la normale des 30 dernières années. Ainsi donc, les pays du Sahel occidental que sont la Mauritanie, le Sénégal, la Gambie et la Guinée Bissau sont en zone jugée très excédentaire. Le Sahel central (Mali et Burkina Faso) est en zone excédentaire à très excédentaire. Au Burkina Faso, précisent les experts, à l'exception de l'extrême nord qui est en zone excédentaire, le pays est entièrement situé dans la zone très excédentaire. Concernant la prévision hydraulique (débit des fleuves), il est prévu au titre de l'année 2008, une hydrolocité supérieure à la moyenne des 30 années (1960-1990), au niveau de la majorité des bassins. Toute chose qui présage, à en croire les spécialistes du CILSS, une forte probabilité des crues et d'importants risques d'inondation. Les bassins versants en Afrique de l'Ouest méritent de ce fait, avertissent-ils, une surveillance rapprochée, notamment au niveau de la Volta, le Niger supérieur et le Sénégal.

Entre espoirs et craintes
Au cas où cette prévision se réaliserait, avec une bonne répartition temporelle, la région sahélienne connaîtrait de bonnes productions agricoles et pastorales, a-t-on appris des experts du CILSS. La pluviométrie étant le principal facteur limitant de la production agro-sylvo-pastorale au Sahel. Toutefois, on redoute du côté du CILSS, la probabilité que l'on assiste à des phénomènes exceptionnels comme les inondations et la perturbation des opérations culturales du fait des importantes quantités d'eau. En outre, ajoutent-ils, la probabilité de bonne pluviométrie dans les régions désertiques du Sahel, laisse augurer les conditions de développement du criquet pèlerin. Les experts recommandent, pour cela, une surveillance accridienne plus accrue pour déceler précocement tout début de multiplication ou de regroupement de cet insecte nuisible aux cultures.
Les experts reconnaissent de nombreux avantages à la prévision saisonnière des pluies et des débits (PRESAO). Important outil pour la sécurité alimentaire, elle permet aussi une bonne gestion des ressources en eau, sans oublier sa capacité d'alerte sur les risques d'inondation. A la suite de la conférence de presse, les journalistes ont pu visiter sur le terrain certaines installations et projets soutenues par le CILSS dans les environs de Niamey.
Ladji BAMA Le Pays du 10 juin 2008

Qu'est-ce que le Centre AGRHYMET ?
Institution spécialisée du CILSS, le Centre régional AGRHYMET, créé en 1974, est un établissement public inter-étatique doté de la personnalité juridique et financière. Sa mission est de contribuer à la sécurité alimentaire, la lutte contre la désertification et la maîtrise de l'eau dans le Sahel par le renforcement des capacités des institutions nationales, la production et la diffusion d'informations à l'endroit des décideurs politiques et autres usagers. Centre d'excellence reconnu par le CAMES comme institution d'enseignement supérieur, AGRHYMET a des formations qui visent le renforcement des capacités de conception et d'exécution des cadres africains dans les domaines de la sécurité alimentaire, de la gestion des ressources naturelles, de la lutte contre la désertification et de la protection de l'environnement. AGRHYMET, c'est aussi la première source d'information pour les prises de décisions avisées concernant la sécurité alimentaire, la lutte contre la désertification, la maîtrise de l'eau. Compétence technique et scientifique confirmée dans le suivi de la campagne agricole, le bilan alimentaire, l'alerte précoce, le centre a comme principaux pôles d'intérêt le suivi des cultures, la situation alimentaire, le suivi phytosanitaire et acridien, la climatologie et la météorologie, l'estimation des pluies et l'hydrographie, etc.
Concernant le suivi acridien particulièrement, un programme spécifique existe au sein du centre à ce sujet. C'est le PRELISS (Programme régional de lutte intégrée contre les sauteriaux au Sahel). Financé par la coopération danoise, ce programme a pour objectif la mise en oeuvre d'outils d'aide à la décision pour une meilleure gestion des populations acridiennes au Sahel en général et du criquet sénégalais en particulier. Contribuer à la réduction de la pauvreté grâce à une meilleure maîtrise des fléaux acridiens, tel est le but de ce programme qui ambitionne aussi d'entraîner une réduction importante des pertes de récoltes dues aux sauteriaux. Le PRELISS qui est à sa phase finale en ce moment a enregistré des acquis significatifs. Au nombre de ceux-ci figurent le développement d'un modèle spatialisé et d'un modèle de simulation de la dynamique des populations des criquets sénégalais en un seul point fixe, l'élaboration et la mise en oeuvre d'un protocole d'échantillonnage des données des 4 pays participant au programme (Burkina Faso, Mali, Niger et Sénégal), l'octroi de bourses d'études, etc.
Source: AGRHYMET http://www.agrhymet.ne/