Organisation prochaine d’un sommet au Sahel:quelle solution pour une crise sécuritaire alimentée par une crise politico-économique ? - Temoust - Survie touarègue
Louisa Aït Hamadouche-http://www.latribune-online.com-25-11-08
Organisation prochaine d’un sommet au Sahel:quelle solution pour une crise sécuritaire alimentée par une crise politico-économique ?
mardi 25 novembre 2008, par temoust
L’Afrique est le continent le plus pauvre de la planète et le Sahel constitue la région en paix la plus pauvre du monde. Six des neuf pays qui forment cette région d’Afrique de l’Ouest -Gambie, Tchad, Guinée-Bissau, Mali, Burkina Faso et Niger- figurent parmi les douze derniers des 174 pays classés dans le dernier rapport du PNUD en fonction de leur niveau de développement humain.
Les pays du Sahel se mobilisent. Un sommet des chefs d’Etat malien, algérien, tchadien, libyen, burkinabé et nigérien succèdera avant la fin de l’année à la réunion préparatoire des diplomates, tenue à Bamako. La Mauritanie n’a pas été invitée à la réunion, en raison du coup d’Etat qui a renversé son Président démocratiquement élu. L’élaboration d’un plan d’action régional est en discussion. La tenue du sommet des chefs d’Etat des pays du Sahel reste une initiative du président malien qui a invité ses homologues du Sahel à une concertation autour d’un thème qui reste la préoccupation majeure de la communauté internationale.
Le terrorisme entre menace et alibi
Comment les responsables politiques définissent-ils les menaces qui rongent la région ? Pour Moctar Ouane, ministre malien des Affaires étrangères, les groupes terroristes sont responsables du manque de prospérité dans la région du Sahel. Il est vrai que celle-ci a subi une activité croissante de la part de l’organisation Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), qui a, cette année, enlevé deux touristes autrichiens, détenus sur le territoire malien. Ils ont été libérés le 30 octobre.
En avril 2008, une quarantaine d’experts africains et internationaux s’étaient déjà retrouvés, à Alger, pour parler de la menace grandissante du terrorisme en Afrique du Nord. Pour les participants, mettre à jour les liens existant entre l’activité terroriste en Afrique du Nord ainsi que dans les Etats côtiers et la contrebande et le trafic d’armes, requiert un cadre législatif intégré. Pour Abdelkader Messahel, « l’Afrique a désigné le terrorisme comme l’une des plus graves menaces pesant sur elle…
Pour cela, l’Union africaine a intégré la lutte contre le terrorisme dans l’architecture pour la paix et la sécurité en Afrique ». Les participants ont discuté des moyens de combattre l’utilisation par les terroristes d’une technologie avancée pour perpétrer leurs crimes, comme l’Internet et les téléphones mobiles utilisés par l’organisation Al Qaïda au Maghreb islamique pour faire exploser à distance des dispositifs. Selon les services de renseignements français, écrit Abdallah Darkaoui, la branche maghrébine d’Al Qaïda comprend 500 hommes armés, dont 400 en Algérie et une centaine se déplaçant dans la zone sahélienne entre la Mauritanie, le Mali et le Niger.
Ce type de discours pose un sérieux problème. Il ne s’agit pas de contester la réalité de la menace terroriste, mais d’en montrer les causes profondes. Car, le discours officiel se contente de lier la propagation du terrorisme en Afrique du Nord et dans les Etats côtiers à la contrebande, au trafic de drogues et d’armes. Ramtane Lamamra, président de la Commission paix et sécurité de l’Union africaine, a déclaré : « La menace terroriste sur le continent africain est de nature globale. Aucune opération terroriste ne peut être perpétrée sans falsifier des papiers, se livrer au trafic de drogues ou exploiter l’immigration clandestine, des activités qui sont toutes utilisées pour financer le terrorisme. »
Les solutions préconisées sont essentiellement répressives. Elles consistent à coordonner et à intégrer les cadres législatifs au niveau du continent entier, pour faire en sorte que tous les Etats soumettent le terrorisme au même statut. Certaines législations qualifient le terrorisme d’infraction, tandis que d’autres le considèrent une haute trahison. Boubacar Diarra Gaouassa, directeur du Centre africain d’études et de recherches sur le terrorisme, compare ce dernier à « un cancer » qui touche les Etats de l’Afrique du Nord. Or, le cancer est un mal qui, excepté quelques cas, ne dépend pas des habitudes comportementales de l’individu. En d’autres termes, une personne atteinte d’un cancer ne peut être tenue responsable de la transformation d’une cellule ou d’une lésion en cellule maligne. Elle la subit, se bat contre elle et avec de la chance prend le dessus. Le terrorisme n’est pas un mal qui « tombe du ciel », mais un phénomène qui se développe à partir d’un terreau politique et économique plus que favorable.
L’insécurité alimentaire et l’échec économique
La Banque mondiale définit la sécurité alimentaire comme étant l’« accès par toutes les personnes à tout moment à une nourriture satisfaisante pour mener une vie active et saine ». La FAO parle d’« accès durable et assuré pour tous les groupes et individus sociaux à la nourriture adaptée en quantité et en qualité pour satisfaire le besoin alimentaire ». Créé en 1976, le Club du Sahel est un forum actif où se rencontrent les Etats sahéliens regroupés au sein du CILSS (Comité inter-Etats de lutte contre la sécheresse au Sahel) -Burkina Faso, Cap-Vert, Gambie, Guinée-Bissau, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad-, les sociétés civiles regroupées au sein de réseaux régionaux représentatifs du secteur privé, du monde rural, des femmes et des responsables municipaux, et les principaux donateurs bilatéraux et multilatéraux. Le Club est géré par un secrétariat basé au siège de l’OCDE à Paris. Ses programmes sont financés, notamment, par l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Canada, le Danemark, les États-Unis, la France, l’Italie, le Japon, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suisse. La Banque mondiale, la Commission européenne, la FAO et le PNUD y participent également. Le Club du Sahel collabore avec le Comité d’aide au développement de l’OCDE. Ses membres en ont fait un lieu de réflexion approfondie sur les principaux enjeux de l’avenir du Sahel, un forum où ils échangent leurs connaissances et leurs points de vue et où ils mettent au point de nouvelles méthodes de coordination.
La situation structurellement difficile dans cette région s’est aggravée avec la crise financière. Samuel Benshimon relève que les experts estiment que la crise alimentaire entraîne une perte de sept années de développement dans les pays les plus pauvres. Les émeutes en Mauritanie, et les effets de la crise alimentaire qui touche, à différents degrés, le Soudan, le Tchad, le Niger ou encore le Mali, sont de nature à provoquer d’autres émeutes et troubles dans la région. Mais, là encore, il ne s’agit pas de rendre la crise alimentaire responsable et tous les maux, et d’en faire, comme pour le terrorisme, un alibi. Samuel Benshimon estime que les causes de l’insécurité alimentaire au Sahel appartiennent à deux catégories principales. Les causes conjoncturelles sont liées à des circonstances particulières comme des catastrophes naturelles de type inondation, sécheresse qui occasionnant une pénurie généralisée.
Plus précisément, la région du Sahel connaît globalement trois grandes catégories de catastrophes naturelles courantes : les catastrophes hydrométéorologiques (sécheresse, tempêtes de sable, inondations), les ennemis des cultures (criquets, rongeurs, oiseaux granivores, chenilles, etc.), les pressions démographiques : la population a triplé entre 1960–2006, passant de 85 à 300 millions d’habitants. 430 millions sont attendus entre 2020 et 2025. Plus de 65% de la population a moins de 25 ans. Quant à l’urbanisation, elle était de 13% en 1960, 40% en 2000 et sera de 65% en 2020.
Les causes structurelles ou chroniques sont, elles, liées principalement à la très faible capacité de réponse des ménages en raison des conditions d’extrême vulnérabilité. Mais à quoi cette faible capacité des ménages est-elle due ? Plusieurs éléments peuvent être cités dont : les politiques et stratégies alimentaires inadaptées, etc., les difficultés d’accès aux ressources de base (le foncier, le capital bétail, l’eau, les activités génératrices de revenus monétaires…), les systèmes de production peu performants, la réduction ou l’absence des réseaux d’entraide et de solidarité. Résultat : entre 1990 et 2000, la population a augmenté de 32%, alors que la production du maïs ne s’est accrue que de 12,3%, le riz de 26,7%, le total des céréales de 25,4% et la viande bovine de 29,4%.
Corruption et mauvaise gouvernance
Neuf pays d’Afrique de l’Ouest ont progressé et neuf autres ont encore reculé au classement 2008 de Transparency international (TI), qui mesure la perception de la corruption dans 180 pays. Sur les 180 pays concernés par cet indice, huit pays d’Afrique de l’Ouest figuraient dans les 20 dernières places, dont le Tchad. John Kpundeh, du Centre africain de formation et de recherche administratives pour le développement (Cafrad), a effectué une étude très intéressante sur la corruption en Afrique. Il y explique les différentes formes, notamment celles qui gangrènent l’Afrique de l’Ouest et le Sahel. Ainsi, cette région connaît-elle notamment la propagation de la corruption « accessoire ». Elle implique des individus ou de petits groupes qui profitent d’une occasion pour recevoir des pots-de-vin. Elle comprend la sollicitation et l’acceptation non planifiées de dessous-de-table (des policiers qui barrent des routes pour exiger des conducteurs qu’ils payent des pots-de-vin, une sous-estimation fiscale, un détournement de fonds...). Cette forme de corruption ne brasse pas des sommes astronomiques, mais empoisonne l’administration, la vie quotidienne, la bureaucratie et affecte durablement le civisme des citoyens. Son danger est aussi dans le fait de banaliser la corruption.
La corruption « systématique » n’est pas aussi imprévue, elle implique habituellement des gains plus substantiels et est souvent associée à des scandales populaires. La corruption « systématique » peut devenir endémique et impliquer un très grand nombre d’agents, d’intermédiaires et d’entrepreneurs corrompus. La contrebande d’exportation est par exemple largement pratiquée en Afrique, malgré la présence d’agents des douanes. La corruption se déploie aussi à travers le népotisme, par le fait de procurer des emplois aux membres de sa famille. Le régionalisme et le tribalisme confortent le népotisme et le perpétuent. Les domaines prioritaires, en termes de lutte contre la corruption, sont : les compagnies et les marchés publics, 1’administration fiscale, les douanes et la justice.
A cause de douaniers corrompus, des biens peuvent être déclarés contrairement aux règlements des douanes et de la régie. C’est pourquoi, la contrebande est si largement répandue dans la majorité des pays de la région. Dans de nombreux cas, la corruption s’est infiltrée dans le secteur judiciaire. Ainsi, les décisions de justice sont-elles prises par des juges avant que les personnes ne soient passées en jugement, ou en accord avec des directives venues du gouvernement en place.
Dele Olowu, un expert en administration publique et corruption en Afrique, explique que la corruption gouvernementale est endémique en Afrique parce que les efforts se sont concentrés sur des remèdes avant qu’une analyse approfondie du problème n’ait été réalisée. Ne comprenant pas certaines des causes fondamentales de la corruption, les gestionnaires ont appliqué des réformes inefficaces. Michael Johnston, un chercheur spécialisé dans les questions liées à la corruption, abonde dans ce sens, suggérant que les réformes mises en place dans une situation politique partiellement mal comprise ou incomprise peuvent avoir des résultats contraires à ce qui est souhaité. Quant aux nombreuses approches non systématiques utilisées pour tenter de lutter contre la corruption, elles n’ont finalement été que des manœuvres politiques, destinées à améliorer l’image des dirigeants, à faire diversion ou à se débarrasser de personnalités devenues gênantes. La fameuse stratégie du fusible. « Il est difficile de mettre au point une stratégie anti-corruption parce que le succès de tout programme dépend en grande partie d’un engagement solide de la part du président du pays, des membres du cabinet et des responsables les plus haut placés, ceux-là même qui sont corrompus », conclut John Kpundeh. Et les choses ne sont pas près de changer. Dans plusieurs Etats de la région, la Constitution a été modifiée pour permettre un troisième mandat.
Shanda Tonme, jurisconsulte international, commente la révision opérée par Idriss Deby au Tchad, disant qu’« en laissant Deby modifier la Constitution pour se maintenir en tant que président à vie, on a amené le Tchad à régresser de plusieurs décennies, offrant l’occasion à son élite vorace et fanatique de jouer au seul jeu qu’elle maîtrise depuis plus de trente ans : le jeu de massacre ». La Guinée l’a précédé et l’Algérie a clos temporairement la liste. Le régime politique en Mauritanie est issu d’un coup d’Etat. Les dirigeants politiques au Niger sont contestés par la révolte touarègue. Le Mali semble s’illustrer et sortir de ce lot. Il a entamé une réflexion partant de plusieurs constats et critiques : les élections sont très coûteuses, la participation est faible et les contestations sont nombreuses après chaque scrutin. Des experts nationaux, mandatés pour réfléchir sur la consolidation de la démocratie au Mali, ont préconisé un maintien du statu quo en matière de mandat présidentiel, actuellement de cinq ans, renouvelable une seule fois.
Les engagements des Etats-Unis et le statu quo
Sur le plan militaire et sécuritaire, les Etats-Unis ont marqué leur présence dans la région en mettant en place Pan-Sahel Initiative d’abord, puis Trans-saharian Counter-terrorism Initiative ensuite. Ces aspects sont complétés par des exercices, des formations, des échanges d’informations avec les Etats de la région. Le but de cette démarche était et demeure le renforcement de la capacité des armées des pays sahéliens à lutter contre le terrorisme et à contrôler leur territoire. Cette initiative s’est élargie et est devenue Partenariat transsaharien de lutte contre le terrorisme, en 2005. Ainsi les manœuvres Flintlock ont-elles associé pour la première fois neuf pays (Algérie, Maroc, Tunisie, Nigeria, Sénégal, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) dans des exercices d’entraînement et de simulation. En 2007, le budget de ce partenariat était de 100 millions de dollars. A ces éléments s’ajoute une implication économique. L’aide économique américaine a atteint 122 millions de dollars en 2005. Selon l’Agence américaine pour le développement international (USAID), l’aide américaine à la région a bénéficié à plus de 65 millions de personnes de neuf pays du Sahel : Burkina Faso, Cap-Vert, Gambie, Guinée-Bissau, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Tchad. Pendant l’année budgétaire 2005, les Américains ont fourni plus de 122 millions de dollars, sous forme d’assistance bilatérale et régionale, à des programmes de développement et de lutte contre l’insécurité alimentaire dans le Sahel. Durant la même période, l’USAID a fourni plus de 10 millions de dollars aux programmes d’éradication des criquets au Sahel, auxquels s’ajoutent 3,5 millions de dollars au titre de l’aide contre la catastrophe acridienne au Mali et au Sénégal. Les projets incluaient des épandages aériens d’insecticides sur 383 000 hectares et une aide aux équipes régionales de lutte anti-acridienne en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest. L’USAID a ciblé la plus grande partie de son aide au Burkina Faso sur la lutte contre l’insécurité alimentaire.
L’aide américaine a aussi financé des programmes plus politiques comme des organisations de soutien aux droits de l’Homme, des activités de développement fondées sur les collectivités, le développement des partis politiques et une assistance technique pour les élections.
Pour les Etats-Unis, ces aides économiques, destinées surtout à améliorer leur image dans la région, et cette présence militaire sont nécessaires pour casser les alliances, qui, selon eux, se forment entre l’AQMI, les éléments du Groupe marocain pour la prédication et le combat (GMPC) et une partie du Front islamique marocain (FIM), sous la bannière d’Al Qaïda. Dans la même perspective, ils avancent l’argument selon lequel la montée de l’islamisme au Niger conforte l’implantation régionale du GSPC. Zahir Benmostepha relève que des écoles religieuses, marquées de l’empreinte de prédicateurs pakistanais, afghans et syriens, ont été ouvertes dans le nord du Niger, se substituant aux institutions gouvernementales affaiblies. Les Etats sont incapables de jouer le rôle de régulateur et de protecteur qui est le leur ; ils en appellent à l’aide extérieure et cette même aide aggrave leur crise de légitimité.
L. A. H
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