dimanche 1 avril 2012
En politique, il y a des moments où « la boîte à surprises » tourne à plein régime.
L'Afrique de l'Ouest traverse l'un de ces moments. Et, dans cette partie du
continent, ce sont le Sénégal et le Mali qui se distinguent.
On l'a oublié, mais ces deux pays voisins ont commencé par s'unir ; avant même leur indépendance, ils ont scellé entre eux la Fédération du Mali, qui fut déclarée indépendante le 20 juin 1960, avant de voler en éclats dès le mois d'août suivant.
Ils se sont ensuite constitués l'un et l'autre en États indépendants et ont connu, depuis lors, deux destins parallèles.
Il y a quelques semaines, nous avions très peur pour le Sénégal, où l'élection présidentielle menaçait de déraper, et pensions que le Mali, lui, allait changer paisiblement de président à la date prévue, le 29 avril, pour régler ensuite le problème posé par la sécession du nord du pays.
C'est le contraire qui s'est produit : la présidentielle sénégalaise a connu, le 25 mars, un second tour irréprochable ; largement battu, le président s'est incliné de bonne grâce devant le verdict des urnes. Il en avait donné l'assurance et ceux qui étaient dans la confidence savaient qu'il le ferait...
Au Mali, en revanche, intervenait le 21 mars un étrange coup d'État que personne n'avait vu venir : le président, qui était à un mois de la fin de son second et dernier mandat, n'est pas appréhendé mais son palais est attaqué ; il sauve sa peau de justesse, disparaît et observe un lourd silence.
Le pays n'a plus de gouvernement en place ni d'institutions debout ; les élections n'ont plus de date ; l'État et l'armée s'effondrent ; les généraux et les colonels sont aux « abonnés absents ».
En ce début avril 2012, le Sénégal assiste à la sortie réussie de son troisième président, Abdoulaye Wade. Chacun des deux précédents avait également réussi la sienne : Léopold Sédar Senghor en 1980 et Abdou Diouf en 2000.
Le Sénégal est, décidément, le pays des sorties réussies.
Au Mali, à l'inverse, c'est une très mauvaise fin de parcours pour Amadou Toumani Touré (ATT). Il avait fait une entrée tonitruante en politique le 26 mars 1991 et a pris alors le bon départ ; il a su quitter le pouvoir en 1992... pour y revenir - par les urnes - dix années plus tard.
Même s'il est rétabli dans la fonction, pour le principe et comme l'exige la Cedeao, le 21 mars marque sa mauvaise fin de parcours.
C'est bien dommage pour lui et très dommage pour le Mali.
Je suis consterné par ce qui se passe depuis dix jours dans ce fleuron de l'Afrique de l'Ouest : à l'évidence le pays et sa démocratie ne se portent pas aussi bien que nous le pensions.
Les dessous du coup d'État, ses auteurs et leurs motivations sont mal connus à ce jour. Tout aussi flous sont les agissements des autres protagonistes maliens en réaction au coup de force.?Mais ce que nous avons observé du comportement des uns et des autres nous permet de cerner la vérité.
1) Le coup d'État du capitaine Amadou Haya Sanogo nous a surpris pour deux raisons :
a) nous supposions, à tort, la démocratie solidement installée au Mali, et suffisamment populaire pour dissuader quiconque de l'attaquer ;
b) nous constations que, rejetés et combattus par l'Union africaine, les organisations régionales du continent, par l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) et la communauté internationale, les coups d'État se faisaient d'autant plus rares que leurs auteurs ne pouvaient en conserver durablement le bénéfice.
2) Le capitaine Sanogo et ses camarades putschistes ont usé de violence excessive et traumatisante, ont détruit, incendié, tué et pillé.
Jour après jour, ils se sont ensuite enhardis : appel démagogique au nationalisme malien, qu'ils utilisent comme bouclier contre l'intervention étrangère, fût-elle africaine, fuite en avant...
Leur « coup » et ses excès ont suscité des condamnations fermes hors du Mali, la Cedeao et son président Alassane Ouattara en première ligne. Mais à l'intérieur du pays, il y a eu (trop) peu de réactions hostiles, et lorsqu'elles se sont manifestées, elles ont été molles et limitées.
À l'inverse, ceux qui ont approuvé le coup d'État ont été visibles et bruyants.
C'est là un signe qui ne trompe pas : le pouvoir renversé n'était plus assez populaire et n'a donc pas été défendu.
Cependant, aux dernières nouvelles, le front antiputsch se renforce et s'élargit : les hésitants le rejoignent et les putschistes sont de plus en plus seuls.
3) Ces derniers n'ont pas entraîné avec eux toute l'armée, tant s'en faut. Mais alors, où étaient les militaires, les gendarmes, les membres des services de sécurité qui n'ont pas participé au « coup » ? Pourquoi n'ont-ils pas défendu les institutions démocratiques ? Où en sont-ils dix jours après le « coup » ?
4) Lorsqu'il a fini par s'exprimer, le 28 mars, le président Amadou Toumani Touré a donné l'impression d'être un homme traumatisé par ce qu'il a subi. N'a-t-il pas refusé d'affirmer qu'il était encore président ? Ne s'est-il pas abstenu de condamner le putsch ou ses auteurs ?
Il était, en tout cas, nettement en retrait de la position de la Cedeao, déterminée à le rétablir dans sa fonction, fût-ce très provisoirement, par principe et pour effacer les effets du coup d'État.
Parmi les connaisseurs de la situation intérieure malienne, certains suggèrent que la personnalité consensuelle et ductile du président ATT a caché une détérioration du pouvoir qui s'est aggravée au cours de son second mandat.
Le président et son gouvernement se sont coupés peu à peu des régimes des pays voisins et se sont isolés des forces vives maliennes.
La dissidence des Touaregs du nord du pays s'est-elle nourrie de l'affaiblissement du pouvoir central ? Aurait-elle éclaté si la chute du régime libyen ne lui avait pas fourni les hommes et les armes qui lui ont permis de s'affirmer ?
Le coup d'État du 21 mars en est-il l'une des résultantes ? Ou bien serait-il intervenu même sans les humiliations qu'elle a infligées à l'armée malienne ?
Il n'y a pas encore aujourd'hui de réponses assurées à ces questions, mais une certitude se fait jour : il y a interaction entre la sécession du Nord et le coup d'État du 21 mars ; leurs effets se croisent et se conjuguent pour plonger le Mali dans la crise la plus grave qu'il ait connue depuis la rupture en 1960 de sa fédération avec le Sénégal.
Il faut le savoir : les antiputschistes africains et maliens ont devant eux une tâche herculéenne
L'Afrique de l'Ouest traverse l'un de ces moments. Et, dans cette partie du
continent, ce sont le Sénégal et le Mali qui se distinguent.
On l'a oublié, mais ces deux pays voisins ont commencé par s'unir ; avant même leur indépendance, ils ont scellé entre eux la Fédération du Mali, qui fut déclarée indépendante le 20 juin 1960, avant de voler en éclats dès le mois d'août suivant.
Ils se sont ensuite constitués l'un et l'autre en États indépendants et ont connu, depuis lors, deux destins parallèles.
Il y a quelques semaines, nous avions très peur pour le Sénégal, où l'élection présidentielle menaçait de déraper, et pensions que le Mali, lui, allait changer paisiblement de président à la date prévue, le 29 avril, pour régler ensuite le problème posé par la sécession du nord du pays.
C'est le contraire qui s'est produit : la présidentielle sénégalaise a connu, le 25 mars, un second tour irréprochable ; largement battu, le président s'est incliné de bonne grâce devant le verdict des urnes. Il en avait donné l'assurance et ceux qui étaient dans la confidence savaient qu'il le ferait...
Au Mali, en revanche, intervenait le 21 mars un étrange coup d'État que personne n'avait vu venir : le président, qui était à un mois de la fin de son second et dernier mandat, n'est pas appréhendé mais son palais est attaqué ; il sauve sa peau de justesse, disparaît et observe un lourd silence.
Le pays n'a plus de gouvernement en place ni d'institutions debout ; les élections n'ont plus de date ; l'État et l'armée s'effondrent ; les généraux et les colonels sont aux « abonnés absents ».
En ce début avril 2012, le Sénégal assiste à la sortie réussie de son troisième président, Abdoulaye Wade. Chacun des deux précédents avait également réussi la sienne : Léopold Sédar Senghor en 1980 et Abdou Diouf en 2000.
Le Sénégal est, décidément, le pays des sorties réussies.
Au Mali, à l'inverse, c'est une très mauvaise fin de parcours pour Amadou Toumani Touré (ATT). Il avait fait une entrée tonitruante en politique le 26 mars 1991 et a pris alors le bon départ ; il a su quitter le pouvoir en 1992... pour y revenir - par les urnes - dix années plus tard.
Même s'il est rétabli dans la fonction, pour le principe et comme l'exige la Cedeao, le 21 mars marque sa mauvaise fin de parcours.
C'est bien dommage pour lui et très dommage pour le Mali.
Je suis consterné par ce qui se passe depuis dix jours dans ce fleuron de l'Afrique de l'Ouest : à l'évidence le pays et sa démocratie ne se portent pas aussi bien que nous le pensions.
Les dessous du coup d'État, ses auteurs et leurs motivations sont mal connus à ce jour. Tout aussi flous sont les agissements des autres protagonistes maliens en réaction au coup de force.?Mais ce que nous avons observé du comportement des uns et des autres nous permet de cerner la vérité.
1) Le coup d'État du capitaine Amadou Haya Sanogo nous a surpris pour deux raisons :
a) nous supposions, à tort, la démocratie solidement installée au Mali, et suffisamment populaire pour dissuader quiconque de l'attaquer ;
b) nous constations que, rejetés et combattus par l'Union africaine, les organisations régionales du continent, par l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) et la communauté internationale, les coups d'État se faisaient d'autant plus rares que leurs auteurs ne pouvaient en conserver durablement le bénéfice.
2) Le capitaine Sanogo et ses camarades putschistes ont usé de violence excessive et traumatisante, ont détruit, incendié, tué et pillé.
Jour après jour, ils se sont ensuite enhardis : appel démagogique au nationalisme malien, qu'ils utilisent comme bouclier contre l'intervention étrangère, fût-elle africaine, fuite en avant...
Leur « coup » et ses excès ont suscité des condamnations fermes hors du Mali, la Cedeao et son président Alassane Ouattara en première ligne. Mais à l'intérieur du pays, il y a eu (trop) peu de réactions hostiles, et lorsqu'elles se sont manifestées, elles ont été molles et limitées.
À l'inverse, ceux qui ont approuvé le coup d'État ont été visibles et bruyants.
C'est là un signe qui ne trompe pas : le pouvoir renversé n'était plus assez populaire et n'a donc pas été défendu.
Cependant, aux dernières nouvelles, le front antiputsch se renforce et s'élargit : les hésitants le rejoignent et les putschistes sont de plus en plus seuls.
3) Ces derniers n'ont pas entraîné avec eux toute l'armée, tant s'en faut. Mais alors, où étaient les militaires, les gendarmes, les membres des services de sécurité qui n'ont pas participé au « coup » ? Pourquoi n'ont-ils pas défendu les institutions démocratiques ? Où en sont-ils dix jours après le « coup » ?
4) Lorsqu'il a fini par s'exprimer, le 28 mars, le président Amadou Toumani Touré a donné l'impression d'être un homme traumatisé par ce qu'il a subi. N'a-t-il pas refusé d'affirmer qu'il était encore président ? Ne s'est-il pas abstenu de condamner le putsch ou ses auteurs ?
Il était, en tout cas, nettement en retrait de la position de la Cedeao, déterminée à le rétablir dans sa fonction, fût-ce très provisoirement, par principe et pour effacer les effets du coup d'État.
Parmi les connaisseurs de la situation intérieure malienne, certains suggèrent que la personnalité consensuelle et ductile du président ATT a caché une détérioration du pouvoir qui s'est aggravée au cours de son second mandat.
Le président et son gouvernement se sont coupés peu à peu des régimes des pays voisins et se sont isolés des forces vives maliennes.
La dissidence des Touaregs du nord du pays s'est-elle nourrie de l'affaiblissement du pouvoir central ? Aurait-elle éclaté si la chute du régime libyen ne lui avait pas fourni les hommes et les armes qui lui ont permis de s'affirmer ?
Le coup d'État du 21 mars en est-il l'une des résultantes ? Ou bien serait-il intervenu même sans les humiliations qu'elle a infligées à l'armée malienne ?
Il n'y a pas encore aujourd'hui de réponses assurées à ces questions, mais une certitude se fait jour : il y a interaction entre la sécession du Nord et le coup d'État du 21 mars ; leurs effets se croisent et se conjuguent pour plonger le Mali dans la crise la plus grave qu'il ait connue depuis la rupture en 1960 de sa fédération avec le Sénégal.
Il faut le savoir : les antiputschistes africains et maliens ont devant eux une tâche herculéenne
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire