On a dit que le Printemps arabe, aujourd'hui dans sa deuxième année, ne franchirait pas le Sahara et ne ferait pas sentir ses effets dans les pays situés au sud de cette mer de sable.
J'ai pensé le contraire, senti, depuis le début de ce phénomène, qu'il était africain autant qu'arabe et pronostiqué qu'il ne tarderait pas à se propager au sud du Sahara.
Pour moi, il ne fait aucun doute que le Sénégal et le Mali ont été
 atteints, au début de cette année 2012, par le vent du changement parti de Tunisie une année plus tôt.
Il soufflera peut-être demain sur d'autres pays. Mais, pour l'heure, en Afrique de l'Ouest, ce sont ces deux pays-là qui en accueillent ou subissent une forme « d'effet retard ».
Qui débouche, comme on va le voir, sur des résultats diamétralement opposés.

I- Le Sénégal
Investi le 2 avril, le nouveau président de ce pays, Macky Sall, a choisi d'emblée de se comporter différemment et de gouverner autrement.
Il faut oublier - complètement ! - qu'il fut membre du parti de son prédécesseur, puis son Premier ministre et, pour finir, en 2007, le directeur de sa campagne électorale, avant d'être le président de l'Assemblée.
Aujourd'hui, il n'incarne ni la continuité ni même le changement, mais la rupture. Et c'est exactement ce que les Sénégalais attendaient.
Son discours d'investiture, le choix de son Premier ministre et de ses ministres, son comportement général et chacune des décisions qu'il a prises depuis qu'il exerce la fonction ont été réfléchis d'abord, préparés et annoncés ensuite pour signifier au peuple sénégalais qu'il s'agit d'un vrai commencement : ils entrent dans une phase de leur histoire différente de toutes celles qui l'ont précédée.
Le Sénégal n'est ni la Tunisie ni l'Égypte ; il n'a pas connu de soulèvement populaire, et l'ancien président, Abdoulaye Wade, n'a pas été renvoyé par la rue comme Ben Ali ou Moubarak, mais à l'issue d'un scrutin à deux tours où il a tout de même rassemblé le tiers des votes.
Quant à Macky Sall, il n'a pas accédé au pouvoir par une révolution mais à la faveur d'une alternance démocratique (et générationnelle).
Est-ce l'effet indirect du Printemps arabe ? À Dakar et dans l'ensemble du Sénégal, on a en tout cas le sentiment, comme en Tunisie, de vivre les lendemains d'une révolution et le début d'une ère nouvelle.
Les élections législatives du 1er juillet ? Les Sénégalais ont un peu l'impression qu'ils vont élire, eux aussi, une Assemblée constituante...

II- La République du Mali Nous ne le savions pas, mais elle était minée de l'intérieur quand, à la fin de 2011, elle a subi les contrecoups négatifs du Printemps arabe et plus précisément de son avatar libyen.
Secouée par la chute de Ben Ali et de Moubarak - les autocrates de ses deux voisins -, attaquée de l'extérieur, la dictature tribale et familiale de Kaddafi a fini par se disloquer à la fin de 2011, essaimant ses survivants - hommes armés et argentés - chez ses voisins du Sud : Tchad, Niger et Mali.
Ce dernier pays s'est révélé vulnérable : les sécessionnistes de sa partie nord n'attendaient que ce renfort venu de Libye pour reprendre le sentier de la guerre ; une bonne partie des militaires maliens n'attendaient qu'une attaque pour se débander.
Avant que certains d'entre eux ne s'insurgent, les armes à la main, contre un pouvoir central méprisé et contre lequel ils se sont libérés de leurs frustrations.
Les Maliens, les Africains et le reste du monde ont alors découvert, non sans stupeur, que la République était entre les mains d'une autorité qui, à la veille de passer la main, était gangrenée, usée et sans défense.

À la fin de mars, les forces du Nord ont fait sécession, chassé les soldats de la République et occupé le territoire de ce qu'elles appellent l'Azawad. Dans le sud du pays, plus particulièrement la capitale et ses environs, des officiers et sous-officiers du rang « au savoir-faire expéditif et limité » se sont emparés du pouvoir par la force.
Ils ne se résolvent pas à le rendre, mais, visiblement, ne savent trop qu'en faire.

Les perspectives sont, hélas, encore plus sombres.
Depuis le premier jour de l'entrée en crise de la République malienne, la Cedeao s'en occupe avec énergie, les pays voisins se concertent, l'ONU et l'Union africaine ne sont ni absentes ni indifférentes. Quant à la classe politique malienne, elle se mobilise dans sa grande majorité contre la partition et contre le putsch.
Mais, en face, de formidables forces de destruction sont, elles aussi, à l'oeuvre. Entre ceux qui s'emploient à restaurer l'État malien dans sa plénitude et ceux qui veulent sa partition et sa dislocation s'est instaurée une course de vitesse dont on ignore qui la remportera.
Le pays menace de suivre la voie empruntée, il y a plus de vingt ans, par la Somalie. Elle mène à ce qu'on a fini par appeler... la somalisation : partition territoriale, dislocation de l'État central, anarchie et violence.
Le tout, sans fin.

Le nord du Mali a clamé son indépendance sous le nom d'Azawad : il ne sera reconnu par aucun État, pas plus que ne l'a été le Somaliland, qui fonctionne, certes, mais mendie en vain, depuis vingt ans, sa reconnaissance par un pays ou une institution. Mais alors que le nord de la Somalie est en paix, l'Azawad verra le pouvoir touareg du MNLA contesté par divers intégrismes.
Son territoire servira de passage aux terroristes professionnels qui infestent la région et aux trafiquants de drogue dont l'argent pourrit tout et corrompt chacun.
Accourront, pour tenter de circonscrire le mal, des forces américaines et françaises, ou de l'Otan ; s'y créera un abcès de fixation.
Un grand pays limitrophe, doté de moyens financiers et militaires importants et qui a pour nom l'Algérie, pourra-t-il rester à l'écart ?
Que faire pour tenter d'éviter que ne se produise et ne se pérennise pareil désastre, national pour le Mali, régional pour l'Afrique de l'Ouest comme pour l'Afrique du Nord, africain et même mondial ?

À mon avis il faut :
1) Restaurer d'extrême urgence la République malienne, son État, sa Constitution et ses institutions.
En obtenant de gré ou de force la reddition des putschistes (et la mise à l'écart de la minorité d'égarés qui a approuvé leur mauvaise initiative).
Les propos dilatoires et même hypocrites de leur chef laissent craindre que ce sera malaisé.
2) Mettre en place un pouvoir constitutionnel chargé de redonner au pays un gouvernement et une nouvelle armée, de le mener, dans un délai acceptable, à des élections dignes de ce nom.
3) Engager avec les dirigeants touaregs les plus raisonnables des négociations en vue de l'édification d'un nouvel État malien qui pourrait, voire devrait, être fédéral.

Pour s'atteler à cette tâche, une coalition des partis maliens qui se sont déclarés antiputsch et pour la Constitution doit se rassembler sous l'autorité du président de l'Assemblée, intronisé chef d'État constitutionnel.
Elle demandera et obtiendra l'appui déterminé de la Cedeao, de l'Union africaine, de l'ONU et des très nombreux amis du Mali.
Du grand malheur actuel, de ce méfait du Printemps arabe (le volet libyen), peut renaître, en quelques années, un Mali fédéral et démocratique.