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"Le désert est beau, ne ment pas, il est propre." Théodore MONOD.



9 juil. 2007

Les pasteurs‑nomades
Le pastoralisme nomade Une caravane interminable de dromadaires traversant un désert est, sans doute, l'image la plus commune du pastoralisme nomade. Mais elle est loin de rendre compte de la complexité et de la diversité d'un genre de vie – indissociable de la domestication, donc de la néolithisation – apparu dans plusieurs régions du globe aux caractéristiques écologiques spécifiques. Parcourant de vastes territoires, les sociétés nomades ont toujours entretenu des relations, hostiles ou pacifiques, avec les sociétés sédentaires.
L'élevage itinérant et l'exploitation de troupeaux d'animaux domestiques émergent dans des conditions où les contraintes de l'écosystème et du système technique rendent l'agriculture impossible ou, du moins, insuffisante pour faire vivre la totalité de la population. Les troupeaux se composent de certains animaux domestiques grégaires qui sont guidés vers des zones où ils pourront trouver de quoi s'alimenter. Le nomadisme s'impose, car ces pâturages se trouvent, selon les époques de l'année, dans des régions différentes.
Les déplacements sont donc le plus souvent réguliers et les trajets, bien précis, ne varient que fort peu année après année.
La domestication L'origine du pastoralisme nomade se confond avec la domestication. Si celle des plantes semble bien s'accompagner d'une réduction progressive du nomadisme pour aboutir à une agriculture sédentaire, l'existence d'un élevage nomade peut inciter à penser que la domestication des animaux a été l'œuvre de groupes de chasseurs‑cueilleurs devenus éleveurs tout en restant nomades.
Il semble bien qu'il faille considérer que les pasteurs‑nomades ont toujours habité les régions dans lesquelles ils se trouvent aujourdhui et que la domestication des animaux a été faite là où se faisait aussi celle des plantes. La pression démographique devenant de plus en plus forte sur des terres cultivables restreintes, le pastoralisme devenait la solution permettant de faire face à la crise alimentaire. Il est vrai que le parallélisme entre domestication des plantes et domestication des animaux ne se vérifie pas en Océanie ni vraiment en Amérique. Il s'agit d'un modèle de l'émergence du pastoralisme qui vaut surtout pour l'Asie et l'Afrique, et des situations locales peuvent ne pas y correspondre. Mais le cas américain, par sa différence même, vient confirmer ce modèle. Avec la domestication ancienne des plantes (manioc, maïs, pomme de terre, arachide), il n'y a pas eu de domestication des animaux, sauf celle du lama dans les Andes. Tant en forêt que dans les montagnes, agriculture, pêche, chasse et cueillette permettaient d'exploiter tous les écosystèmes, sauf les hauts plateaux situés vers 4 000 m; la domestication du lama a alors permis, dans une région à forte pression démographique et à agriculture intensive, de rendre ces terres productives. Le caractère exceptionnel de ce pastoralisme d'altitude montre bien qu'il a été produit dans un contexte global hors duquel il n'a pas de sens. Il souligne aussi la complémentarité du pastoralisme et de l'agriculture.
Régions et sociétés pastorales Les régions où vivent des pasteurs‑nomades sont caractérisées par des conditions climatiques particulières: zones désertiques ou semi‑désertiques sur lesquelles les précipitations sont rares et imprévisibles; régions froides aux hivers rigoureux où la végétation est uniforme, telles les steppes et toundras de l'Asie et de l'Europe du Nord. Climatiquement distincts, ces milieux sont tous défavorables à l'agriculture: sécheresse, trop grands froids ou sols inadaptés. On peut distinguer dans leur distribution plusieurs grands ensembles régionaux.
Afrique du Nord et Moyen‑Orient Les plaines arides et semi‑arides d'Afrique et du Moyen‑Orient, qui vont du Sahara occidental à la péninsule Arabique et à la Corne de l'Afrique, sont la région des déserts de sable où vivent Maures, Touareg, Bédouins d'Arabie et Somalis. Le pastoralisme de ces peuples, fondé sur le dromadaire, comprend également d'autres animaux – moutons, chèvres et chevaux.
De la Turquie au Tibet Les terres qui s'étendent de l'ouest de la Turquie jusqu'au Tibet à l'est, et vers le sud jusqu'aux chaînes montagneuses d'Iran et du Pakistan, qui surplombent le littoral de l'océan Indien, sont occupées par les Turcs, les Kurdes, les Baloutches et les Afghans; ces peuples pratiquent un pastoralisme de moyenne montagne et élèvent ovins, caprins et chameaux, alors que les Tibétains, grâce au yack (bovin adapté à l'altitude et au froid), peuvent exploiter les très hauts plateaux himalayens. Les activités pastorales des régions du Bassin méditerranéen peuvent être incluses dans cet ensemble sans pour autant que la transhumance entre dans la définition du nomadisme; ce pastoralisme tend cependant à disparaître, même s'il reste plus vivant en Afrique du Nord ou dans le Péloponnèse que dans les Alpes‑Maritimes.
De la mer Noire à la Chine En troisième lieu, de la mer Noire à la Chine s'étendent de grandes plaines, où Hongrois, Kazakhs, Tatars et Mongols ont développé une véritable «civilisation des steppes» reposant sur l'élevage du cheval. Ces peuples ont toujours représenté une menace pour les royaumes sédentaires situés aux marges de leur territoire et y ont parfois même, comme les Mongols, pris le pouvoir et fondé une dynastie.
Le Grand Nord Plus au nord, de la Laponie à l'extrême Est sibérien, le renne est, pour les Lapons, les Samoyèdes, les Toungouses, les Iakoutes et les Tchouktches, l'animal qui permet de vivre sous les hautes latitudes où règne la toundra, végétation constituée de mousses et de lichens. Le renne fait l'objet dans ces sociétés de degrés différents de domestication: élevé par les Lapons, il est plutôt contrôlé et chassé par les Tchouktches.
Les savanes africaines La dernière grande région est celle des savanes et des franges tropicales de l'Afrique. Du sud‑ouest du Sahara à l'océan Indien, des peuples comme les Peuls, les Massaïs et les Nuers (populations nilo‑chamitiques) élèvent surtout des bovins, des ovins et des caprins; c'est le cas également des Tutsis des plateaux d'Afrique centrale. Au sud, les Zoulous, les Hottentots ou les Hereros pratiquent également l'élevage, qui ne constitue toutefois pas l'essentiel de leurs ressources, comme c'est le cas pour les tribus de la partie septentrionale.
Le cas des Andes On ne peut parler, dans les Andes, de véritable société pastorale, puisque le lama est plutôt une spécialisation à l'intérieur d'un système où domine l'agriculture. Quelques groupes indigènes, cependant, à la suite de la conquête, ont emprunté certains animaux domestiques importés par les Européens et ont développé des adaptations particulières. Les Indiens des plaines des États‑Unis ou ceux du Gran Chaco argentin, par l'utilisation du cheval, ont modifié leurs techniques de chasse ou augmenté leur capacité guerrière. Les Navajos des États‑Unis ou les Goajiros de Colombie, en revanche, ont très vite intégré la totalité des activités qui caractérisent le pastoralisme.
Système de production Les animaux se nourrissant de plantes sauvages, le pasteur n'agit que très peu sur la nature. Dans les régions désertiques, toutefois, il l'aménage en creusant des puits. L'essentiel de son action s'exerce en fait sur les animaux: il les conduit vers les pâturages et contrôle leur reproduction. Ces animaux sont l'aboutissement d'un processus d'adaptation à l'environnement. Ce processus, toujours en cours, est une symbiose dynamique entre l'homme et l'animal puisque l'un et l'autre sont condition mutuelle de survie.
Le choix des animaux Certaines sociétés fondent leur économie et leur subsistance sur un seul animal, tels le yack ou le renne, exemples d'adaptation très poussée à un écosystème particulièrement spécialisé. Cependant, la plupart des sociétés pastorales présentent une diversification plus ou moins grande du parc animal. Certes, un animal domine mais l'on trouve des troupeaux importants d'ovins et de caprins chez les Bédouins ou les Nuers comme «complément», peut-on dire, des dromadaires et des bovins. Chaque animal est spécialisé dans l'exploitation d'un certain milieu mais la diversification constitue aussi une garantie contre les aléas, qu'ils soient climatiques ou épizootiques (épidémies animales): telle espèce s'accommodera mieux de la sécheresse, de certains types de végétation, ou encore résistera mieux aux maladies. Si tous les animaux ont une importance économique évidente, tous ne sont pas valorisés socialement au même degré. Ainsi, chez les Nuers, la richesse et le statut d'un homme – et ceux de son groupe – sont relatifs à son cheptel, et il ne pourra se marier qu'en versant une compensation matrimoniale constituée par des bovins qui sera, bien sûr, plus élevée si l'alliance contractée est socialement prestigieuse.
L'usage des animaux Puisqu'il est ainsi valorisé, le bétail doit être accumulé; il est fondamental pour les relations sociales, et ce qu'il produit nourrit l'individu. Par ailleurs, plus le troupeau est important, moins grands seront les risques de le voir gravement frappé par une maladie. Aussi, pour des raisons tant sociales que techniques, les éleveurs ne consomment-ils que rarement la viande des animaux: ils n'abattront, en temps normal, que les animaux vieux ou malades, évitant de diminuer la capacité de production et de reproduction alimentaire et sociale du troupeau. Ils consomment le lait et ses dérivés, parfois le sang, et fabriquent, à partir des poils, des crins et des peaux, les sangles, les cordages, les tentes et les outres, ou encore, comme chez les Massaïs, utilisent la bouse comme combustible et revêtement des huttes. L'éleveur se doit donc d'augmenter sans cesse son troupeau, mais cette stratégie, obéissant à des impératifs économiques et sociaux, entraîne une contrainte qui menace la stabilité du système pastoral.
Il est nécessaire de respecter l'équilibre entre le nombre d'animaux et les ressources d'un territoire donné. Si cet équilibre permet d'éviter le surpâturage – qui provoque la désertification –, il contraint l'éleveur à chercher de nouvelles terres. Cette tendance à l'expansionnisme, inhérente au pastoralisme, explique les fréquents conflits qui existent dans ces sociétés, comme les «guerres tribales» des Bédouins d'Arabie ou des pasteurs nilotiques.
La circulation des richesses Outre les processus d'autorégulation naturels qui limitent la population des troupeaux, des mécanismes, culturels cette fois, permettent de contrôler cette accumulation et ses conséquences: les compensations matrimoniales, dabord, et celles qui mettent fin aux conflits assurent entre les familles ou les clans une circulation et une redistribution des animaux; l'échange, ensuite, avec des sociétés d'agriculteurs – qu'il s'agisse de troc ou de vente – permet de faire sortir des animaux du système pastoral et d'obtenir aliments, biens de consommation ou objets précieux. Par l'échange, les pasteurs se procurent ce qu'ils ne produisent pas, mais aussi convertissent en richesses thésaurisables ce qu'ils risquent de produire en trop. Du fait de cette complémentarité entre nomades et sédentaires, la compréhension du système pastoral n'est vraiment possible que dans une perspective régionale.
Activités annexes Mais l'économie pastorale ne repose pas uniquement sur l'élevage. La diversification des activités assure, en effet, la répartition des risques. Selon les sociétés, chasse et cueillette, agriculture oasienne ponctuelle, commerce caravanier, raids, autrefois, sur des populations sédentaires et, aujourdhui, travail salarié sont autant de ressources d'appoint dont l'importance varie en fonction du contexte global.
Le pouvoir Le politique, enfin, présente des aspects très divers: sociétés segmentaires – ou acéphales –, chefs tribaux, princes d'oasis ou khans mongols, toute la gamme du pouvoir semble présente. Et si, parfois, on a vu ces sociétés comme plus égalitaires qu'elles ne le sont, il reste que le pouvoir politique chez les nomades – même dans les cas où il semble le plus fort – est bien qualitativement différent de celui qui règne chez les sédentaires. Toute concentration du pouvoir se heurte, en effet, à la nature de la société pastorale et vient figer le jeu politique et les échanges entre les groupes. Lorsque de tels phénomènes se produisent, la société et l'organisation pastorales cessent d'exister pleinement, comme ce fut le cas en Chine ou, plus récemment, en Arabie, même si se perpétue un discours qui valorise le nomadisme.
Circulation et redistribution à l'intérieur, échange et conversion à l'extérieur du produit de l'élevage, diversification des activités mettent en évidence que le pastoralisme nomade est un système ouvert, en continuel ajustement, et qui fonctionne de façon complémentaire avec les sociétés agricoles. Si l'histoire des pasteurs nomades a toujours été liée aux populations et aux États sédentaires, les mesures de contrôle et les politiques de sédentarisation dont ils sont aujourd’hui l'objet mettent en péril leur indépendance et menacent leur existence.

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